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au roi Stanislas de Pologne, et arrivait à garantir la fameuse pragmatique sanction de l’empereur Charles VI. Le cardinal de Fleury ne laissa point d’éprouver quelque embarras pour communiquer ces arrangemens au roi de Sardaigne : il lui découvrit peu à peu son secret, lui renouvelant l’assurance de ses bons offices pour améliorer les conditions de la paix, exprimant la plus vive douleur de ce qui arrivait, et en rejetant la faute sur l’Europe, sur l’Espagne, sur tout le monde. Charles-Emmanuel III ne fut point trompé par ces protestations, et il ne laissa pas ignorer au vieux cardinal qu’il savait ce que valaient ses promesses. Le marquis d’Ormea avait eu connaissance par quelque moyen secret d’une lettre par laquelle le cardinal pressait son agent à Vienne de signer au plus vite les préliminaires afin de soustraire la négociation à l’autorité d’un congrès, et il montra cette lettre. Ainsi piqué au vif, Fleury jeta le masque et somma le Piémont de se prononcer, le menaçant de rappeler l’armée française d’Italie et de laisser le roi de Sardaigne régler seul ses affaires avec l’empereur. La meilleure raison, c’est que, la France désirant en finir, le Piémont ne pouvait seul continuer une lutte impossible et devait dès lors se résigner. Le cardinal de Fleury triomphait et avait la paix ; mais le roi de Sardaigne se retirait de la lutte avec une blessure profonde. La reine d’Espagne elle-même, malgré les magnifiques avantages qu’elle recueillait pour un de ses fils, était froissée dans ses ambitions. Le dernier des Médicis, Jean-Gaston, avait protesté d’avance contre ces combinaisons de la diplomatie, qui disposaient arbitrairement de la Toscane. Tels étaient les auspices sous lesquels apparaissaient les préliminaires de Vienne, qui ne devenaient un traité définitif que trois ans plus tard, en 1738, et ce traité n’est point sans importance pour l’Italie, puisque c’est là le principe de l’avènement de la maison de Bourbon à Naples et de l’établissement de la maison de Lorraine à Florence. Quant à Charles-Emmanuel III, sa royauté à Milan n’avait été qu’un beau rêve ; elle finissait avec la lutte pour revivre près d’un siècle et demi plus tard dans sa maison ; mais ces événemens avaient été pour lui une école singulièrement féconde. Il s’était formé à l’art de gouverner, de manier les hommes et de faire la guerre, se montrant souvent intrépide soldat et répondant au vieux Villars, qui voulait l’éloigner du feu, que ses pareils ne fuyaient pas devant le péril. Le duc de Noailles dit de lui dans ses mémoires que « dans ses premières conférences avec le roi il fut étonné du jugement, de la pénétration et du sang-froid de ce prince, admirant qu’une seule année d’expérience l’eût déjà rendu si habile en science militaire. » Victor-Amédée n’avait pas seulement un successeur, il avait un continuateur.

Il y eut dans le cours du XVIIIe siècle une autre crise qui suivit