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guerre en Italie ; soyez certain que tout cela finira en paroles. Depuis cinq ans, c’est le système de la France et de l’Angleterre. On m’a tâté, et j’ai répondu qu’en temps utile je ne laisserais pas fuir l’occasion, mais que je savais distinguer l’ombre du corps. Toutes ces conventions ne sont que des moyens termes, des cataplasmes qui ne guérissent pas le mal. Voulez-vous en savoir plus ? En France on vit d’expédiens et au jour le jour ; en Angleterre on en fait autant… En France, mon cher, on attend quelque chose de plus sérieux, par exemple, la mort de l’empereur. Votre cardinal de Fleury cherche à gagner du temps et à éviter la guerre : œuvre de bon chrétien et selon son état ! Mais, vive Dieu ! si j’étais à Versailles, au risque de passer pour fou, je dirais au roi mon neveu que ces maximes ne sont pas d’un royaume comme le sien, que tout cela n’est que faiblesse, qu’il doit se faire respecter en Europe, se montrer ferme et résolu. C’est ainsi qu’on inspire de la crainte à ses ennemis, de la confiance à ses alliés… » Victor-Amédée se trompait en un point : avant la guerre de la succession d’Autriche, il ne voyait pas la guerre de la succession de Pologne, qui était tout près de sortir de cette confusion de l’Europe, et où il allait laisser à son fils Charles-Emmanuel III le soin de représenter les traditions de sa race.

La politique n’est point une abstraction, et jamais vraiment elle ne le fut moins qu’au XVIIIe siècle. Ce sont les passions, les humeurs, les caprices qui règnent alors et qui donnent à la politique l’aspect d’un véritable imbroglio. Dans ces premières périodes du XVIIIe siècle dont je parle, tout se résume à vrai dire en quelques personnages qui occupent le devant de la scène, que M. de Carné et M. Carutti montrent à l’œuvre en découvrant tous leurs mobiles, en ravivant les traits de ces figures un peu effacées derrière les catastrophes de la fin du siècle. En Espagne, c’est Elisabeth Farnèse, la nouvelle reine, cette seconde femme que la princesse des Ursins avait donnée à Philippe V dans l’espoir de la dominer, et qui avait commencé son règne en bannissant celle qui l’appelait au trône. Elisabeth était le vrai roi d’Espagne à côté de Philippe V, ce pauvre prince morose, affolé par une mélancolie noire, et dont la voix de Farinelli parvenait seule à dissiper par instans les sombres humeurs. La couronne d’Espagne avait un héritier, le fils de la première femme de Philippe V, de cette princesse de Savoie qui n’avait fait que passer sur le trône. Mère à son tour, Elisabeth Farnèse n’avait qu’une pensée, celle de travailler à la fortune de ses propres enfans en conquérant des trônes pour eux, et elle poursuivait son but avec la passion intense et ardente d’une femme, d’une Italienne doublée d’une Espagnole. Le champ de bataille de cette ambition était naturellement l’Italie, où la nouvelle reine d’Espagne avait des droits comme héritière de la maison de Parme et des Médicis qui allaient s’éteindre.