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venons à peine de dépasser la moitié du siècle, et on pourrait déjà compter deux ou trois manières d’envisager l’histoire, deux ou trois systèmes correspondant aux principales tendances ou aux principales évolutions morales et politiques de l’époque. La philosophie des choses évanouies est devenue une science, en même temps que l’érudition s’étendait, fouillant et embrassant les siècles avec plus de certitude, et cependant le dernier mot de l’histoire n’est point dit assurément, et bien longtemps encore on philosophera sur le passé ou on racontera avant que les élémens d’investigation ne s’épuisent. De là le prix exceptionnelle toutes les savantes recherches poursuivies sans interruption dans tous les pays, de ces travaux surtout qui portent la marque d’un talent sérieux et sincère, comme ceux de M. de Carné, l’auteur d’une étude nouvelle sur la Monarchie française au dix-huitième siècle, et de M. Carutti, l’auteur d’une toute récente, Histoire du règne de Charles-Emmanuel III : deux œuvres où l’attrait littéraire s’allie à un intérêt historique doublé par le spectacle de quelques-uns des événemens contemporains.

Dans cette œuvre de révision du passé, qui semble, à vrai dire, être la plus haute vocation intellectuelle de notre temps, M. de Carné est, si l’on me passe ce terme, un des ouvriers les plus actifs et les plus éclairés. Ce qu’il avait commencé déjà avec le zèle d’un esprit voué à cette sérieuse et virile étude des choses anciennes, il le continue aujourd’hui, ou plutôt il comble une lacune qui existait entre ses premiers travaux, où il trace les portraits des grands créateurs de l’unité française, et ses études plus récentes sur cette révolution d’où est sortie toute la France moderne avec ses grandeurs et ses faiblesses. Entre ces époques diverses, entre le cardinal de Richelieu et M. Necker, entre Louis XIV à son point culminant et l’infortuné Louis XVI, il y a le XVIIIe siècle tout entier : c’est ce XVIIIe siècle qui apparaît à son tour dans ces pages nouvelles qu’on a lues ici même, et qu’on relira. Ce que M. Carutti, lui aussi, avait commencé dans une histoire de Victor-Amédée II, il le continue dans son livre nouveau, en faisant revivre Charles-Emmanuel III, le premier successeur du premier roi de Sardaigne, un de ces princes de Savoie qui ont le privilège héréditaire de se mêler à tout, d’être des premiers dans toutes les mêlées. Les deux écrivains d’ailleurs ont peu de traits communs, si l’on veut. L’auteur de la Monarchie française au dix-huitième siècle n’est point peut-être un historien proprement dit, si l’on n’applique ce nom qu’à celui qui raconte ou qui peint, qui reproduit les côtés dramatiques et le mouvement spécial d’une époque. Sans laisser d’animer et de colorer ses tableaux, M. de Carné est avant tout un observateur des courans généraux de l’histoire. C’est un publiciste pénétrant qui, à travers le mouvement des faits, s’efforce de découvrir la marche des idées, et qui étudie la France