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vous y trouverez ces richesses qui ne devaient jamais sortir d’Italie. Les livres ont suivi le sort des tableaux ; où sont les bibliothèques des Médicis, des Grimani, des Strozzi, des Spada, des Albani ? Pour ne parler que de la France, comment la révolution a-t-elle respecté les belles collections de nos anciens couvens ou les châteaux de nos rois ? Nous avons beau faire, nous n’arrêterons jamais cette perpétuelle mobilité ; il en sera de nos livres comme des maisons que nous avons construites, comme des arbres que nous avons plantés : quelque successeur indifférent ou besoigneux se rira de nos longs espoirs, et livrera pour un peu d’or cet héritage qui ne devait jamais finir. Il y a, dit-on, à Twickenham un noble exilé qui, à l’exemple du prince Eugène, cherche une distraction dans l’amour des livres. Fonder une bibliothèque qui garde son nom, c’est aujourd’hui la seule ambition qui lui soit permise ; cette ambition modeste sera trompée comme toutes les autres ! Quoi qu’il fasse, un jour viendra, où les amateurs se disputeront ces beaux livres, comme ils se disputaient hier ceux de François Ier ou de Louis XIV. Faut-il s’effrayer de cet avenir inévitable ? Nos arrière-neveux sont souvent peu dignes de nous comprendre, l’histoire est ingrate et suit la fortune, d’ailleurs les morts vont si vite qu’à peine elle a le temps d’inscrire leur nom ; mais les connaisseurs sont un peuple tenace et qui a une longue mémoire : dans trois siècles peut-être, en se partageant les livres de Twickenham, ils penseront encore à celui qui trompait sa mauvaise fortune par le goût des lettres et des arts.

Ne soyons donc pas cruels pour ces amateurs qui recueillent ce qu’emporte le temps, et qui nous gardent ainsi les reliques du passé ; en faveur des services qu’ils nous rendent, pardonnons-leur une innocente manié. — L’amour des livres, dira-t-on, n’a rien de commun avec l’amour des lettres.— Cela n’est vrai que de quelques ignorans qui d’un livre ne connaissent et n’estiment que la peau ; le bibliophile digne de ce nom est celui qui sait choisir également le livre et la reliure. Eh quoi ! les anciens trouvaient la vertu même plus gracieuse quand ils la rencontraient unie à la beauté, et il ne serait pas permis d’aimer mieux la morale et l’éloquence sous une enveloppe élégante ! Enfans, on nous fait admirer Alexandre enfermant l’Iliade dans la riche cassette de Darius, et plus tard on nous reprochera le luxe d’un Cicéron en maroquin ! Nous mettons dans nos musées les ivoires que sculptait la piété de, nos aïeux pour en orner les beaux manuscrits des Évangiles, et ce serait une faiblesse que de rechercher ces reliures jansénistes, dont la noble simplicité encadre si bien la parole divine ! — Puériles fantaisies ! dira-t-on, amusement indigne d’un esprit sérieux ! — Mais, ô graves censeurs, il faut se consoler de n’avoir plus trente ans : pourquoi donc