immense et salutaire. Là comme dans la vie, elles apportent avec elles la grâce, le bon goût, la passion, l’imprévu, et en quelque sorte le mystère. Dans ces âmes plus complexes et plus subtiles, il y a plus de nuances, d’élans et de retours soudains que dans les nôtres, et, par cela même que leurs mouvemens sont plus spontanés et moins soutenus, elles sont particulièrement propres aux effets du théâtre, où leur mobilité se prête aux situations les plus diverses et les plus inattendues. Je songe à cette galerie de portraits de femmes, si complète et si variée, laissée par les deux plus grands inventeurs dramatiques, Shakspeare et Molière, et je me demande où est la galerie de Regnard. Otez-lui les soubrettes de tradition et quelques rôles déjà surannés de son temps ou d’un ordre inférieur, comme ceux de Mme Argante, Mme La Ressource ou Mme Bertrand : il n’y a guère dans toutes ses pièces qu’une seule femme, qui s’appelle tour à tour Clarice, Angélique ou Léonore. J’excepte volontiers l’Isabelle du Distrait, qui prononce si bien le verbe amo, et surtout la malicieuse et folle Agathe, qui, ne remettant à personne le soin de sa destinée, pas même à la soubrette ou au valet, prend en main ses propres affaires, prépare tout, conduit tout, et s’affranchit si lestement de tutelle ; mais, à part l’exception, où trouver chez lui la grande dame, la bourgeoise, la mère, l’épouse, la jeune fille ? Où sont ces figures rendues par le peintre avec un art si délié et si fin, qu’elles semblent échapper à la définition ? Où est Elmire, cette honnête femme, qui pourtant joue si volontiers avec les situations au moins délicates, sinon périlleuses ? Où est cette Éliante, à la fois si candide et si hardie, qui non-seulement ne dissimule pas sa tendresse, mais en fait en quelque sorte l’aveu public, et trouve dans sa sincérité même le moyen de rester pudique en offrant son cœur, et de rester digne en le voyant refuser ? Où est Agnès et son effrayante simplicité d’égoïsme dans l’amour, qui lui fait déchirer le cœur d’Arnolphe avec une indifférence qui soulèverait la pitié du spectateur, si l’art consommé du grand poète n’eût fait ce personnage encore plus ridicule que malheureux ? Où est Elvire, cette création si profonde, cette femme qui, après avoir tout abandonné pour don Juan, est abandonnée à son tour, se réfugie dans un cloître, et là, par un amour qui s’épure en se transformant, pense à celui qu’elle avait aimé, qu’elle aime encore, et, pour dernière démarche dans ce monde, veut sauver l’homme qui l’a perdue ? Où sont tous ces visages doux, aimables et brillans, qui répandent sur une œuvre un immortel éclat ? En supprimant ou en réduisant ainsi les rôles de femmes, Regnard a supprimé ou réduit dans son théâtre la grâce et la passion, et, sauf quelques vers qui sont comme de frais retours de jeunesse, l’amour n’a guère plus de place dans son livre que
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