Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La connaissance de l’homme et des mœurs ;

Le talent de créer des personnages ou des caractères ;

L’art d’imaginer une intrigue où ces personnages se meuvent ;

Enfin le don du style ;

en sorte que, dans tout poète comique digne de ce nom, il y a un moraliste, un peintre de caractère, un dramatiste (qu’on me permette le mot, faute d’équivalent) et un écrivain.

Il semblerait que Regnard dût être un grand moraliste, car, dans ses nombreux voyages, il avait assez vu pour beaucoup retenir ; mais on ne retire des voyages que ce qu’on y apporte, et le profit qu’on y peut faire tient moins au nombre ou à la variété des objets qu’on y voit qu’à la force d’esprit qui les pénètre. Or, si la pénétration de Regnard est vive, elle n’est pas profonde, et, dans son œuvre comme dans ses voyages, son regard, rapide mais léger, s’est arrêté à l’extérieur des hommes et des choses. Peut-être aussi n’a-t-il pas estimé l’homme assez pour l’étudier à fond :

Chaque homme est fou (dit-il), tout m’oblige à le dire,
Et, si ce n’est assez, je veux encor l’écrire ;

Et il conclut :

Mais enfin, puisqu’ici tous les hommes sont fous,
Ce n’est pas un grand mal ; hurlons avec les loups.

Hurler avec les loups, se résigner gaiement à ce qu’on ne saurait empêcher, telle est en effet toute la philosophie de Regnard. Comment se mettrait-il en peine de corriger l’homme, qui lui paraît incorrigible ? Si la folie humaine est à ce point irrémédiable, il ne reste plus qu’à en rire : c’est le parti, sinon le plus charitable, du moins le plus commode ; or on a vu combien il tenait à ses aises. À vrai dire, l’immoralité souvent reprochée à Regnard s’appellerait à plus juste titre indifférence. S’il rit du mal assez volontiers, on n’aperçoit pas du moins qu’il s’y complaise, et souvent il n’a d’autre tort que de ne pas s’expliquer, par légèreté peut-être, ou plutôt par répugnance pour tout ce qui n’est pas action, et comme s’il était trop pétulant et trop pressé pour s’arrêter un moment à raisonner. À quoi tient-il par exemple que le Légataire universel ne donne sur les inconvéniens du célibat la leçon la plus salutaire et la plus grave ? Il n’y fallait qu’un autre titre et cinq ou six vers de conclusion.

Il faut en convenir d’ailleurs, la comédie est moins une école qu’une peinture. Comme à Sparte, on y montre l’esclave ivre, et la leçon est dans le spectacle même. Le poète comique n’est pas tenu