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de la possibilité et du succès. On le voit dès l’origine des troubles pencher vers la monarchie, pourvu qu’elle se modère et s’appuie sur un libre parlement ; puis, aliéné par ses fautes, la quitter pour le camp de ses adversaires ; comprendre Cromwell et le ménager à l’avance, pour lui résister toutefois dans la plénitude de son pouvoir ; élu dans tous les parlemens, exclu souvent par la violence, s’abstenir avec prudence, mais sans faiblesse, puis entrer en lutte contre le fils du protecteur, figurer dans le conseil de gouvernement qui le remplaça, et, devinant Monk comme il avait pressenti Cromwell, travailler et contribuer puissamment à la restauration des Stuarts. Pair du royaume alors et chancelier de l’échiquier, ses opinions le rangèrent assez constamment du parti de la modération, de la tolérance, de la liberté, quoique ses actions ne fussent pas toujours du côté de ses opinions. C’est ainsi qu’on le vit siéger dans le procès des juges de Charles Ier, et tremper en 1664, au moins par son acquiescement, dans la guerre impolitique et impopulaire contre les Hollandais. De ces deux fautes, la première fut la plus odieuse, la seconde fut la plus grave, car cette guerre, comme le procès, n’était qu’une vengeance des Stuarts, une vengeance contre les alliés de la république, c’est-à-dire de l’Angleterre, et la concession la moins excusable à la volonté de Louis XIV. En y consentant, Ashley, qui ne prenait pas alors les avis de Locke, avait évidemment trahi, pour se ménager auprès du roi, ses propres convictions et la cause même à laquelle il semblait attacher sa fortune ; car, malgré ses variations dans les moyens de réussir, on peut dire qu’adversaire constant de lord Clarendon, toujours opposé aux inspirations les mieux déguisées de la bigoterie et de l’absolutisme, il se montra en général le défenseur éclairé des principes de la révolution. Toutefois ses lumières mêmes lui faisaient trop bien comprendre l’empire des circonstances pour qu’il entrât inutilement en lutte avec elles ; il aimait le juste et le vrai, mais il voulait réussir, et il était toujours prêt à compromettre son caractère plutôt que son influence. Les révolutions produisent souvent de ces hommes qui les servent quelquefois mieux que des partisans plus fidèles. Le public les juge presque toujours sévèrement ; il ne voit pas toujours, en leur reprochant d’avoir appuyé des systèmes et des pouvoirs divers, qu’il a lui-même fait comme eux, que c’est lui qui bien souvent a changé d’intérêts, de sentimens, de situation, et que ces politiques qui ont tant varié sont quelquefois des serviteurs qui ne l’ont pas abandonné ; mais cette sévérité, même dans ses injustices, est un utile frein, car elle peut seule arrêter la conscience sur la pente glissante de l’habileté. D’ailleurs elle s’accorde souvent avec une admiration exagérée pour l’esprit de ceux dont elle réprouve le caractère ; on croit d’autant plus à