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le trouble dans l’esprit des indigènes. Les pauvres gens se jettent comme une insulte les mots de papistes, de calvinistes, d’hérétiques et d’idolâtres, et, sans avoir la moindre idée de ce que peuvent être Calvin, le pape et Luther, beaucoup d’entre eux seraient disposés à renouveler en leur nom les luttes dont le prix autrefois était un lambeau de chair humaine. Or que doivent se proposer avant tout les missionnaires de l’une et de l’autre croyance ? Adoucir des hommes encore incultes, faire disparaître en eux tout sentiment d’inimitié, les moraliser, leur donner des goûts et des habitudes d’ordre, de famille, de société régulière. Il est d’ailleurs de toute évidence que ces hommes, soit qu’ils se réunissent pour chanter des cantiques bibliques, soit qu’ils préfèrent la messe, sont tout à fait hors d’état de rien comprendre aux subtilités et aux distinctions théologiques ; cela devrait rendre ministres et missionnaires plus tolérans à l’égard du dogme, pourvu que les grands principes que l’une et l’autre croyance admettent également pénétrassent dans les esprits et que les préceptes de la morale chrétienne adoucissent les cœurs.

Pour les Sandwich, où la rivalité subsiste depuis tantôt vingt ans, il n’y a plus qu’à constater un état de choses regrettable ; mais n’est-il pas à souhaiter que les Pomotou, dont la France vient de prendre possession, restent le domaine exclusif du catholicisme, qui y a obtenu déjà des résultats avantageux, et que dans les Fidji au contraire, où l’Angleterre a récemment planté son drapeau, dans les îles Samoa et en plusieurs autres points, le catholicisme renonce à faire concurrence aux ministres des diverses sectes protestantes qui depuis quelques années y ont porté leurs prédications ? Le catholicisme a dans notre Nouvelle-Calédonie, ainsi que nous l’ayons fait observer, un vaste champ d’expériences où tout le favorise : la protection de nos officiers, l’isolement dans lequel ont vécu jusqu’ici les sauvages, l’absence relative du contact extérieur. C’est là surtout qu’il doit concentrer ses efforts.

Les essais d’éducation tentés dans les colonies françaises et les Sandwich soulèvent une autre question : convient-il que cette éducation soit exclusivement morale et religieuse ? Il est un autre but que dans leur rôle protecteur les hommes de bonne volonté auraient dû également poursuivre : à côté du salut de l’âme, il serait bon de compter pour quelque chose celui de cette vie présente. Or, pour apprendre à vivre, pour acquérir la force de respirer, pour ainsi dire, au milieu de la foule qui s’agite autour d’eux et les presse, les indigènes océaniens auraient besoin de recevoir une éducation plus pratique que celle qui leur est offerte par les missions. Les cantiques ne suffisent pas ; il faudrait aussi quelque peu de cette