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longuement résidé à Nukahiva, on arrive de Taïti, où le peuple est si bruyant et si causeur, où l’on entend de tous côtés un idiome suave et coulant, on est étonné de la taciturnité des Nukahiviens. Ils parlent peu et c’est toujours avec une voix de basse-taille formidable, en scandant profondément les syllabes de leur âpre langage. » Dans leur langue, ces indigènes s’appellent kanata, et aux Sandwich kanaka, de là ce nom de canaques employé par nos marins pour désigner les insulaires du Pacifique.

C’est vers 1842, et au milieu de circonstances qu’une étude récemment publiée dans la Revue rend trop présentes aux esprits pour qu’il soit besoin de les rappeler[1], que la France prenait possession de Taïti et de Nukahiva ; mais les deux établissemens ont eu des destinées différentes, qu’il faut attribuer à leur position respective dans le Pacifique. Le premier, sans atteindre à une grande prospérité, est arrivé cependant à une existence utile et sérieuse : Papeete a vu entrer dans son port, en 1856, cent quarante-trois bâtimens de commerce ; la valeur des importations s’y est élevée à près de 3 millions, et celle des exportations à un peu moins de 2 millions de francs. Nukahiva n’a reçu que les baleiniers américains qui, de la côte nord-ouest, descendent dans les mers du sud. Un hangar et quelques cases, voilà la ville ; un lieutenant, vingt soldats de marine et quelques missionnaires composent toute la population européenne. À plusieurs reprises il a été question d’abandonner cette possession, qui semblait stérile. Pourtant, de ce que l’occupation des Marquises n’a été jusqu’ici d’aucune utilité pour la France, il ne faudrait pas conclure qu’il en doive être toujours ainsi. À l’une et à l’autre extrémité du monde, entre l’Afrique et l’Asie, entre les deux continens américains, un grand projet, en partie réalisé jadis et appelé par le vœu de la civilisation contemporaine, commence à recevoir son exécution. En présence des difficultés de diverse nature qui entravent le percement des isthmes de Suez et de Nicaragua, on a pu en mettre en doute la réalisation, et certes il faudra encore beaucoup de temps, beaucoup d’argent pour atteindre un pareil but ; mais il suffit de jeter les yeux sur une mappemonde et de considérer l’immense développement qu’ont pris de nos jours la marine et le commerce pour être convaincu que quelques considérations égoïstes ne sauraient prévaloir longtemps contre l’intérêt général, et que notre époque, un peu plus tôt, un peu plus tard, est destinée à voir tomber ces vieilles barrières qui allongent le chemin du Pacifique et de la mer des Indes. .Ce jour-là, le groupe des Marquises, l’archipel de la Société, la Nouvelle-Calédonie, échelonnés de l’est à l’ouest de l’Océan-Pacifique, entre l’isthme américain et l’Australie, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande,

  1. Voyez, sur la Reine-Blanche aux îles Marquises, la Revue du 15 juillet 1859.