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qui recouvrent toute leur peau ; quelquefois aussi de profonds ulcères rongent leurs membres.

Les Français ont augmenté les ressources naturelles de ces îles en y important plusieurs de nos animaux domestiques, les bœufs, les ânes, les moutons ; déjà depuis longtemps les porcs et les chiens y étaient connus. Par malheur, le rat s’y est aussi glissé, et il cause parmi la volaille les plus grands dégâts ; sans doute c’est pour se réserver l’usage exclusif de cette nourriture que les prêtres et les chefs l’ont déclarée tapu. Jamais on ne déterminerait un naturel à en manger, ni même à reposer sa tête sur un oreiller fait de plumes de poules. Il en est de même pour la tortue de mer, qui est assez rare et qui joue un certain rôle dans les cérémonies religieuses. À Nukahiva, où les sacrifices humains ont disparu depuis l’occupation française, ce sont les tortues qui remplacent les victimes humaines. Parmi les mets favoris de ces sauvages figure encore le devil fish (poisson du diable), sorte de grande raie dont la chasse à coups de harpon, dans les pirogues indigènes, est pleine de dangers et d’émotions. Le requin, avec sa chair rance et coriace, est également une nourriture recherchée par eux ; ils le mangent même en putréfaction. Les baleiniers américains qui fréquentent ces parages connaissent bien ce goût bizarre et l’exploitent à leur profit ; on voit un bâtiment en panne dont tout l’équipage est activement occupé à amorcer des requins à l’aide de vieux morceaux de cuir ; il se ravitaille : en échange des poissons qu’il pourra pêcher, les indigènes vont lui apporter des porcs et des moutons.

Ces insulaires, dont on évalue le nombre à environ douze mille, offrent en général un beau type. Les hommes sont grands et bien faits, leur figure serait souvent très agréable sans les tatouages dont ils se couvrent ; la couleur brun-rouge de leur peau disparaît sous ces affreux stigmates ; ceux qui sont complètement tatoués paraissent noirs ou bleu foncé. Ils retroussent en forme d’éventail leur épaisse chevelure avec une bandelette d’étoffe. Leurs yeux sont noirs et expressifs, leurs dents sont belles, et ils ont plus de barbe que les autres Océaniens. Les femmes sont bien faites et ont une figure agréable. Elles sont nubiles de bonne heure et lascives comme toutes les femmes de l’Océanie. Hommes et femmes sont également aptes à tous les exercices du corps ; ils nagent et plongent avec une merveilleuse habileté. Les dialectes parlés aux îles Marquises et à Taïti sont bien connus aujourd’hui, grâce aux travaux d’un ingénieur hydrographe, M. Gaussin. Ils peuvent procéder d’une source commune, mais ils se sont modifiés en sens divers et ont pris des caractères très distincts selon les instincts et les goûts des deux populations. « Quand, dit un officier de notre marine, M. Jouan, qui a