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en terre blanchie à la chaux occupe le centre du village. Quand la cloche les a appelés, ils quittent leurs travaux, et on les voit s’accroupir et se lever alternativement durant les offices ; ils crient ensemble, sur un rhythme guttural et nasillard, les répons et les chants religieux traduits par les missionnaires dans leur idiome, puis ils écoutent dans un grand recueillement la leçon des chefs sacrés ; c’est ainsi qu’ils appellent les religieux français. Qu’ils y comprennent grand’chose, c’est ce que nous n’oserions guère affirmer. Et comment en serait-il autrement, puisque leur esprit, étranger à toute idée abstraite, ne s’était pas même élevé jusqu’ici à la notion d’un être supérieur ? Mais à défaut d’intelligence certains d’entre eux témoignent beaucoup de docilité et de bon vouloir, et il suffit de comparer leur bien-être relatif à l’abjection dans laquelle ils sont nés pour affirmer qu’ils sont l’objet d’une expérience utile et digne d’encouragemens. La même amélioration s’est produite à Pouebo. Dans cette tribu, la mission est située à une demi-lieue de la mer, à l’extrémité d’une belle plaine et sur le penchant d’une colline qu’ombragent des cocotiers. Les bâtimens, qui consistent en deux grandes maisons, une église fort vaste et quelques cases, sont entourés d’ateliers de menuiserie, de charpente et d’une forge où les missionnaires ont eu le bon esprit d’appeler ceux même des jeunes indigènes qui ne se sont pas convertis, afin de les disposer par le travail à l’adoption d’une vie nouvelle. Là des cultures de riz et de maïs ont particulièrement réussi ; on n’en est encore qu’aux premiers essais pour le froment et l’orge. Enfin de grands troupeaux de bœufs, de porcs, de chèvres, animaux que l’île ne connaissait pas, garantissent mieux que tous les sermons l’abolition de l’anthropophagie. À l’île des Pins, le succès a été complet : un millier d’indigènes y obéissent à un seul chef. Les cases sont groupées autour de l’établissement religieux ; par toute l’île, au pied des pitons couronnés de verdure, s’étendent des plantations de cocotiers, de cannes à sucre, de bananes ; la vigne, le figuier, diverses céréales européennes, y prospèrent, et plusieurs indigènes ont appris à élever des abeilles.

Voilà donc de fort bons résultats : seulement il faut reconnaître qu’ils sont très circonscrits. Les catéchumènes n’atteignent pas au chiffre de deux mille, ce qui paraît être moins du vingtième de la population[1] ; de plus, si autour des missions nous trouvons des indigènes dociles et bien disciplinés, en revanche un grand nombre témoignent

  1. M. Tardy de Montravel croit pouvoir évaluer la population de la Nouvelle-Calédonie à 60,000 âmes. Ce chiffre semble trop élevé ; il est probable qu’il sera arrivé à cet officier, comme à Cook et aux autres navigateurs, d’être induit en erreur par le grand nombre d’indigènes qui se pressaient sur son passage, en désertant momentanément l’intérieur pour voir ses vaisseaux.