Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des autres. Une des supériorités les plus remarquables de ces sauvages consiste dans la force et dans l’adresse avec lesquelles ils manient leurs casse-têtes et leurs javelots. D’Entrecasteaux, qui toucha à un point de la Nouvelle-Calédonie, raconte que, des bandes menaçantes s’étant multipliées autour de lui, il voulut donner aux indigènes une idée de l’effet terrible de nos armes à feu. Il fit attacher un pigeon à un arbre, plaça à distance les trois meilleurs tireurs de ses équipages et commanda le feu. Aucun coup ne porta. Alors un indigène, qui était nonchalamment couché, se saisit de sa zagaie, la brandit et transperça l’oiseau.

La prise de possession ne fut point partout aussi facile qu’à Balade et à Pouebo. La Constantine poursuivait son exploration le long de la côte orientale, visitant les principales tribus et cherchant l’endroit favorable à un établissement définitif. À mesure qu’elle s’avançait du nord au sud, elle trouvait les peuplades de moins en moins bien disposées. L’action des missionnaires cessait de s’y faire sentir, et elles étaient travaillées et poussées à l’hostilité par quelques matelots déserteurs, anglais et américains, qui s’étaient fixés au milieu d’elles, vivant de leur existence, exploitant le pays sans concurrence et sans contrôle, et redoutant l’introduction d’une domination et d’une influence étrangères. Il y avait particulièrement, en un lieu appelé Hienguene, une tribu puissante, dont le chef, nommé Buaraté, homme énergique et doué d’une certaine intelligence, s’était même autrefois rendu à Sydney, où il avait été reçu avec de grands égards et traité comme le roi de toute la Nouvelle-Calédonie. Buaraté professait un grand attachement pour ses amis les Anglais, Sydney men, comme il les appelait, et il avait annoncé qu’il résisterait à l’occupation de tous les autres hommes blancs. Les tribus voisines avaient les yeux fixés sur la sienne, qui était nombreuse et bien pourvue de fusils ; il s’agissait donc de frapper de ce côté un coup décisif.

Lorsque, dans les premiers jours de mai 1854, les deux bâtimens, la Constantine et le Prony se présentèrent devant Hienguene, un nombre considérable de pirogues se détachèrent de la côte, et les naturels montèrent à bord avec familiarité en témoignant des dispositions amicales ; mais le chef ne parut pas. Buaraté ayant refusé une première fois de faire acte de soumission, un officier partit avec une embarcation et un détachement armé pour lui faire savoir que si le lendemain, à dix heures, il ne s’était pas rendu à l’invitation qui lui était faite, le commandant descendrait avec une partie de son équipage en armes pour dresser le pavillon français et faire acte de souveraineté sur le territoire de la tribu, et qu’à la moindre apparence de résistance il serait déchu, et son territoire