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« Soyez plutôt maçon,… » dit-il à Perrault. C’est qu’en effet, jusqu’à la création de l’Académie des Beaux-Arts, les architectes, les sculpteurs et les peintres étaient maçons. Ils faisaient partie de la corporation de Saint-Luc, érigée en 1391, et ils y étaient confondus avec les badigeonneurs. Il fallut même, pour acheter une émancipation incomplète, mettre dans la nouvelle académie les prud’hommes du corps de métier, et le peintre Lebrun eut pour collègues des ouvriers qui maniaient le marteau et la truelle.

La première opération du roi pour régulariser l’industrie était, comme on vient de le voir, d’étendre à tous les artisans le régime des corporations ; un autre objet de la sollicitude royale fut de transformer les fonctions électives de jurés et gardes du métier en offices achetés par le titulaire et directement concédés par le pouvoir. On voyait là dans une seule réforme plusieurs améliorations importantes : d’abord on appliquait le principe général de la centralisation, si cher au despotisme ; on détruisait le fâcheux exemple de corps délibérans, ou du moins élisans et se croyant des droits, une autorité, une existence propre dans le sein de l’état ; on agrandissait la distance qui séparait les ouvriers des maîtres et les maîtres de leurs magistrats. Plusieurs corps de métiers se trouvèrent tout à coup placés sous des surveillans héréditaires. Quelques-uns des plus favorisés conservèrent les formes électives ; mais leurs jurés furent soumis dans l’exercice de leurs fonctions au prévôt de la ville, au procureur du roi, à l’inspecteur du commerce, sans parler de la haute surveillance des parlemens, qui s’étendait à peu près à tout. D’autres corporations, après avoir exercé originairement une profession libre, devinrent une sorte de rouage administratif ; les maîtres furent des officiers, ils achetèrent leurs charges, ils parurent dépositaires d’une partie de l’autorité publique. Tels furent les jaugeurs et mesureurs, les chargeurs, les déchargeurs, les crieurs de vin. Ces fonctionnaires d’une nouvelle espèce vécurent aux dépens des autres corporations. Un cabaretier n’aurait pas été bien venu à ne pas faire crier son vin ; le crieur de vin, qui avait sa charge à exercer, s’emparait d’un broc, le remplissait de vin aux tonneaux du marchand, et en fixait lui-même le prix pour les acheteurs. De même il fallait être mesuré par les mesureurs et déchargé par les déchargeurs, malgré qu’on en eût. Il y avait des déchargeurs de plusieurs sortes, pour les blés, pour les vins. Ces derniers soutinrent de longues luttes avec les tonneliers. On en vint à créer trois corporations, celle des déchargeurs, qui ôtaient les tonneaux des navires et les plaçaient sur le quai, celle des tonneliers-rouleurs, qui conduisaient les tonneaux jusqu’aux charrettes, et enfin celle des chargeurs. Aucun marchand ne pouvait se passer de ces intermédiaires,