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sion territoriale qui sont une des affaires les plus ordinaires des gouvernemens humains. Cette question touchant aux intérêts du pape, l’on croit utile de substituer à un petit fait un grand principe. On veut conserver au pape une possession qu’il ne peut garder avec ses propres forces, et lui maintenir le droit de la mal gouverner en appelant au secours du pape, prince temporel, le dogme catholique de l’infaillibilité du souverain pontife. Infaillible dans le domaine spirituel, le pontife, dit-on, doit être indépendant dans le domaine temporel. L’indépendance ne se trouve que dans la souveraineté, car la souveraineté dans sa plénitude est à la fois la garantie et la forme de la complète indépendance. Le principe posé, on ne recule devant aucune de ses conséquences. Il faut que le pape gouverne ses états avec la plénitude de la souveraineté. Aucune partie de ses états ne saurait en être détachée, car entamer partiellement son droit, c’est mettre en question le principe tout entier. Tout progrès moral ou matériel qui ne serait point compatible avec les principes religieux que le pape représente est interdit à ses états : le libre examen par exemple, la liberté de conscience, la tolérance des cultes, y sont impossibles, car comment admettre que l’autorité temporelle et l’autorité spirituelle étant réunies dans le même homme, l’une puisse être autre chose que le bras de l’autre ? S’il arrive que l’état pontifical soit placé de telle sorte au centre d’un pays et au cœur d’une race que ni cette race ni ce pays ne puissent vivre d’une vie nationale et politique en s’isolant de l’état pontifical, toutes les fois qu’une divergence s’élèvera entre les aspirations, les intérêts de la nation où est enclavée la souveraineté du pontife et ce que celui-ci regarde comme les intérêts, comme l’esprit de la religion qu’il représente, le vœu de la nation et son intérêt tel qu’elle le comprend devront céder et se sacrifier aux intérêts et à l’esprit du gouvernement pontifical. « L’Italie, dit M. Dupanloup, a par le pape la gloire de donner au monde un chef spirituel. Cette gloire est assez grande, et il ne faut pas qu’elle pousse ses prétentions ambitieuses au-delà. » Si vous parlez de la légitimité des vœux nationaux, on vous répond que les intérêts de deux cent millions de catholiques pèsent plus que la nation à laquelle on impose inexorablement cette abdication. De telles conséquences paraissent effrayantes ; il ne manque point de logiciens qui ont le courage de les tirer du principe de la souveraineté temporelle du pape. Nous en citerons comme exemple un livre qui paraissait au commencement de cette année, l’Église romaine en face de la Révolution, par M. Crétineau-Joly, livre qui mérite d’être lu dans les circonstances actuelles. Cet ouvrage contient des documens qui n’ont pu être fournis que par la chancellerie romaine, et nous croyons que le manuscrit en a été lu au Vatican. C’est une histoire du pontificat romain depuis Pie VI jusqu’au concordat autrichien. L’auteur n’admet pas les nuances, et comme tous les progrès politiques qui ont été accomplis en Europe pendant la période qu’il étudie au point de vue romain devaient bien finir par réagir sur la temporalité pontificale, il assimile la philosophie à la franc-maçonnerie, le libéralisme, qui ne demande que le grand jour des discussions, aux conjurations des sociétés secrètes. Devançant les foudres épiscopales qui grondent à nos oreilles, il ne voit qu’impiété révolutionnaire dans ce qui a été tenté et obtenu en Europe depuis un