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mérite de ces littératures qui nous apparaissent comme trop sèches, trop dogmatiques, trop peu fertiles : elles sont chargées, non de créer, mais d’entretenir et de maintenir. Elles sont pour la science et le culte de l’intelligence ce que la prédication est pour la morale religieuse. Le sermon hebdomadaire du ministre de la paroisse opère rarement une conversion miraculeuse ; mais par l’appel répété qu’il fait à la morale, il empêche les âmes des paroissiens de s’abâtardir et de s’éteindre : il entretient en elles, sinon la pratique, au moins l’estime des vertus qu’il recommande. Cette littérature est donc excellente en soi, quoi qu’en puissent dire des esprits prévenus et hostiles ; tout ce qu’on doit désirer, c’est qu’elle ne domine jamais exclusivement au point d’être tyrannique, et qu’elle ne soit jamais assez puissante pour opposer une barrière à ce qui s’accomplit en dehors d’elle. Si elle dominait exclusivement, peut-être serait-elle trop portée à nier ou à dénigrer les innovations les plus salutaires, et aurait-elle un entraînement fâcheux à étouffer les facultés les plus précieuses de l’esprit, la spontanéité, l’imagination, l’instinct, toutes facultés dont elle se défie et qui lui sont trop étrangères. Je me hâte de dire que ces réflexions s’appliquent beaucoup plutôt à un état de choses possible qu’à un état de choses existant. L’Université moderne ne s’est jamais montrée tyrannique, elle s’est toujours distinguée au contraire par une tolérance réelle, quoique un peu sournoise et souvent accordée à contre-cœur. Les écrits de ses membres même les plus timides portent tous plus ou moins l’empreinte des innovations dont notre siècle a été le témoin. L’influence toute-puissante de l’éclectisme a donné aux plus récalcitrans une faculté de compréhension qui manqua souvent à leurs devanciers. La littérature universitaire s’est mêlée au courant général des choses et à la vie de notre temps. Romantisme, critique moderne, philosophie hégélienne, elle a tout accepté à demi, sinon comme doctrine, au moins comme objet de curiosité.

Cependant, malgré cette tolérance, l’Université avait gardé vis-à-vis du siècle une attitude un peu froide et pleine de réserve. Elle s’était tenue à l’écart, à l’ombre de ses écoles, sans se mêler au courant général de la littérature contemporaine. Pendant tout le règne de Louis-Philippe, on a pu voir en présence deux littératures, défiantes, jalouses, malveillantes, animées d’une hostilité sourde qui, dans les grands jours, faisait explosion dans des leçons de Sorbonne et des discours d’Académie. L’Université n’admettait pas aisément ce qui s’agitait en dehors d’elle, et faisait volontiers profession de dédaigner ce que le monde se piquait d’admirer. La littérature extra-universitaire rendait mépris pour mépris et se vengeait en quolibets et en injures dans les petits et les grands journaux qui n’étaient pas dévoués au corps enseignant. D’une part, les