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le jeune poète pourront donc, sans instruction et sans travail, trouver quelques heureuses inspirations et sentir s’ouvrir en eux quelques fraîches sources d’émotions ; mais plus tard, dans l’âge sérieux et sévère, quels moyens auront-ils de nous toucher, lorsque les rayons de cette aurore trompeuse qui embellissait toute chose se seront fondus dans cette lumière du midi, implacable comme la vérité, lorsque le cœur, endurci par la vie, aura perdu cette mollesse qui le rendait accessible à tout, lorsque l’esprit, devenu dédaigneux, grâce à l’expérience, des objets qui l’enchantaient naguère, sentira leur puérilité et sa propre impuissance ? On peut se passer d’instruction jusqu’à l’âge où l’on ne peut sans honte continuer à se regarder comme un jeune homme ; mais passé cet âge, on en sent cruellement l’absence. Plus d’un parmi nos jeunes écrivains est peut-être, à l’heure qu’il est, en train de faire cette triste expérience. Sans instruction, pas de moyens de rajeunissement pour le talent ; l’imagination, au lieu de s’élargir, se rapetisse au niveau des choses les plus vulgaires ; la mémoire, au lieu de s’enrichir, s’affaiblit ; l’écrivain, au lieu de dire ou de raconter des choses nouvelles, répète à satiété et répète ennuyeusement ce qu’il eut le bonheur de dire avec attrait une première fois. Mais le plus grave inconvénient d’une ignorance trop prononcée, c’est de vous rendre indifférent à tout ce qui ne touche pas directement à votre vie ou à vos habitudes, et de vous faire croire que ce qui vous intéresse peut également intéresser le genre humain. De là cette tendance, aujourd’hui très prononcée, qui pousse une foule d’écrivains, souvent ingénieux et spirituels, à entretenir le public de leurs petites affaires privées, de leurs amusemens et de leurs déboires. On prend peu à peu l’habitude de dédaigner tout ce qu’on ne comprend pas et de mépriser tout ce qui ne se rapporte pas directement au petit domaine qu’on s’est choisi. C’est ainsi qu’on a vu certains jeunes romanciers réalistes repousser la poésie, et se croire obligés de verser le mépris sur ceux qui en faisaient l’objet d’un culte, et qui cherchaient à en prolonger l’existence. D’autres estiment que la politique et l’histoire sont indifférentes à l’artiste et au poète, et que la destinée des nations a moins d’importance que la description exacte d’un visage chargé de verrues ou d’un ustensile de ménage ébréché. Tel n’est pas M. About. Je ne crois pas que l’instruction ait développé en lui des convictions bien robustes, mais elle a éveillé sa curiosité, et lui fait tenir les yeux ouverts sur le large monde et les spectacles variés qu’il nous offre. Peut-être son esprit sceptique, agile, un peu léger, ne lui permet-il pas les profondes sympathies ; mais il le protège contre l’ennui et contre ces dédains, aussi absurdes que stériles, qu’engendre l’ignorance unie à la vanité. M. About est né curieux, et