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secondaires, oui, si elles étouffent la nature ; non, si elles la corrigent, la soutiennent et la fortifient. Or précisément chez M. About ces qualités soutiennent et fortifient la nature, et, grâce à elles, il a évité, il évite heureusement les défauts dans lesquels tombent si aisément ceux de ses jeunes contemporains qui n’ont pas reçu la même éducation que lui. Je le sais, il n’a ni la finesse d’analyse ni la délicatesse qui distinguent M. Octave Feuillet, ni la vigueur d’observation et la fermeté d’esprit de M. Dumas fils, ni la grâce naïve et populaire de M. Henri Murger. Oui sans doute ; mais en revanche il n’a pas la subtilité de l’auteur de Dalila, on ne trouve jamais dans ses écrits ce singulier et choquant mélange de pathos emphatique et de style de code civil qu’on rencontre dans les drames de M. Dumas fils, et jamais sa phrase alerte et vive, ses images sobres et bien choisies ne font songer au langage souvent pénible, alambiqué, aux bizarres métaphores de l’auteur des Scènes de la Vie de Bohême. M. About peut donc à bon droit s’enorgueillir de ces qualités que l’on voudrait regarder comme secondaires, car, en débarrassant son esprit de toutes les herbes parasites qui l’auraient étouffé, en le purifiant de tous les mélanges qui l’auraient altéré, elles lui ont donné tout le piquant et toute la saveur qu’il n’aurait pas eus. La sève, bien dirigée, ne s’est pas détournée du tronc et des rameaux essentiels ; elle ne s’est pas dépensée en branches gourmandes, en végétations inutiles, en floraisons superflues.

L’éducation universitaire a encore donné à M. About une force très importante, et qui, par une fatalité particulière, manque à la plupart de nos jeunes écrivains d’imagination, je veux dire une bonne et solide instruction. Certes j’estime avant toutes les autres les qualités naïves et spontanées qui ne doivent rien qu’à la nature ; cependant j’ai toujours remarqué que ces qualités restaient singulièrement étroites, lorsque l’instruction ne leur présentait pas un large champ où elles pussent s’exercer. Ces facultés heureuses ne deviennent riches que par un continuel exercice d’elles-mêmes, par une assimilation constante des belles choses qui les entourent ou qui se présentent à elles. Ces qualités naturelles, que nous estimons si précieuses, ne sont, si je puis m’exprimer ainsi, que des susceptibilités ; tant qu’elles n’auront pas été touchées et réveillées, elles resteront passives, obscures, latentes. Dans l’âge charmant de la vie où tout est joie, plaisir et poésie, elles laisseront sans doute échapper quelques rayons et entendre quelques accens ; pour cela, il suffira d’un beau jour de printemps, de la rencontre d’un visage aimable, d’une fleur, d’un refrain perdu. La jeunesse a cet adorable privilège, qu’elle peut se passer de grandeur, de noblesse et de vérité, et que pour elle tout tient lieu de beauté. Le jeune artiste,