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critiques lui ont reproché injustement l’influence visible et très marquée que cette éducation a laissée sur son esprit. Nous ne lui ferons certainement pas le même reproche, car il doit à cette éducation quelques-unes des qualités non-seulement les plus sérieuses, mais les plus vives et les plus piquantes qui le distinguent particulièrement.

Cette discipline de l’éducation a donné à M. Edmond About une habileté à conduire sa plume, une sûreté de bon sens, une adresse littéraire, qui tranchent singulièrement avec la maladresse, l’incertitude et les irrégularités de talent de quelques-uns de ses jeunes contemporains. Sa plume lui obéit avec une docilité exemplaire ; il dit ce qu’il veut dire, nettement, sobrement, sans tâtonner ni trébucher. Comme il connaît les règles qui gouvernent la distribution du discours, il sait qu’un récit doit avoir un commencement, un milieu et une fin. Ce n’est pas lui qui s’embrouillera jamais dans sa narration, qui consacrera, ainsi que nous l’avons vu récemment, trois cents pages à l’exposition et cinquante pages au développement d’un récit, et qui laissera, par incurie ou maladresse, un épisode usurper tout à coup, comme une monstrueuse plante parasite, la place de l’histoire qu’il s’était proposé de raconter. Comme il connaît l’art des transitions, l’esprit du lecteur passe sans effort d’une partie à l’autre de son récit, sans rencontrer ces fossés et ces lacunes qui abondent dans les écrits de nos jeunes romanciers. Avec lui, l’esprit du lecteur ne quitte jamais la terre ferme, et n’est pas obligé de prendre son vol pour franchir les fossés que la négligence ou la paresse de l’écrivain a oublié de combler. Quand on lit certains romanciers contemporains, il semble en effet qu’on se promène dans une campagne semée de désagréables irrégularités et de maussades accidens de terrains qui nous obligent à chaque instant à prendre notre élan pour rejoindre le narrateur. Avec M. About, rien de pareil : la lecture de ses romans est une promenade sans fatigue, et l’on passe avec lui d’un chapitre à un autre, comme on sort d’un parc pour entrer dans une serre ou regagner un pavillon de repos. Enfin, comme on lui a enseigné l’art des développemens, il n’y a pas dans ses écrits de parties faibles ou de pages inutiles : il sait faire rendre à une idée, aussi mince qu’elle soit, ce qu’elle peut donner ; il sait s’arrêter à point, se refuser une fantaisie d’éloquence hors de propos, et couper court à un commentaire psychologique trop prolongé.

Qualités secondaires, disent à l’envi ses détracteurs, qualités d’universitaire et de rhéteur, qui peuvent bien présider à la confection du discours français et des vers latins, mais qui n’ont jamais fait ni un poète, ni un romancier, ni un dramaturge ! — Qualités