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dans les Indes-Orientales. Elle se pratique parmi les tribus qui habitent la Nouvelle-Calédonie, à l’est de l’Ile Vancouver. Lorsqu’un Indien meurt, on place son corps sur un bouclier de bois résineux, et la femme du défunt est elle-même étendue sur le cadavre. On met le feu, et la malheureuse femme reste là jusqu’à ce qu’elle soit presque suffoquée. On la fait alors descendre, et une fois à terre, elle doit se tenir auprès du bûcher et rétablir dans la position normale les membres du cadavre constamment soulevés et tordus par l’action du feu. C’est une effroyable opération qu’elle est obligée, bon gré, mal gré, d’accomplir. Pendant ce temps les assistans chantent et battent du tambour pour couvrir ses cris de douleur. Enfin le corps est presque entièrement consumé, et le bûcher s’éteint. La veuve recueille avec soin les cendres de son mari, les dépose dans un sac qu’elle doit porter trois ans sur le dos, et devient esclave d’un parent du défunt. Durant ces trois ans, il ne lui est permis ni de se laver ni de se peigner. Le délai expiré, on convoque la tribu ; on débarrasse la veuve de son sac de cendres, on verse sur son corps des flots d’huile de poisson avec des flocons de duvet de cygne qui s’attachent à la peau, on la fait danser dans ce bel équipage, et enfin elle est libre : elle se lave et peut se remarier, permission dont elle ne doit pas être très désireuse de faire usage. N’est-il pas singulier de retrouver ainsi chez ces sauvages du nord de l’Amérique la représentation presque identique des sutties de l’Indue ? La veuve du Malabar n’a rien à envier à la veuve de la Nouvelle-Calédonie. Le supplice est tel que souvent les veuves remariées, lorsqu’elles ont le malheur de perdre leur second mari, préfèrent se suicider plutôt que d’affronter un nouveau martyre. Quant à l’origine de cette coutume, on ne l’indique pas d’une façon précise ; mais il est probable que l’égoïsme y a plus de part que la cruauté. Le mari calédonien, de même que le mari hindou, a cherché le moyen d’intéresser sa femme à la conservation de ses jours et de se défendre contre les vengeances de la jalousie.

À côté de ces tristes scènes, M. Kane a trouvé chez les Indiens des cérémonies plus touchantes. Laissons là les Chinooks, et arrêtons-nous un instant au milieu de la tribu des Walla-Wallas, où le voyageur a recueilli la légende suivante, qui révèle plus clairement que nous ne l’avons vu jusqu’ici la croyance des peaux-rouges à une autre vie. C’est une page de littérature indienne dont M. Kane a respecté dans sa traduction fidèle l’expression et la couleur.

« Il y a quelques années, lorsque les Walla-Wallas se livraient activement à la chasse aux buffles et que ces animaux fréquentaient, en troupes nombreuses, le versant occidental des montagnes où on ne les voit plus aujourd’hui