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savante, sobre, concise, elliptique jusqu’à l’obscurité, exprime avec énergie et netteté des sentimens et des idées qui intéressent ; mais elle manque de nombre, d’imprévu dans le rhythme et dans l’expression, de cette flamme communicative, privilège des grands poètes, de ce je ne sais quoi qui tient autant de la forme que de la pensée, et qui fait les vers immortels. Les siens sont loin d’être sans beauté, Michel-Ange a mis sa marque à tout ce qu’il a touché, et pourtant c’est plus à titre de commentaire de sa vie, de confidences sur ses pensées et ses plus intimes sentimens, que par leur valeur littéraire et poétique qu’ils me paraissent mériter l’attention.

Les vers de Michel-Ange appartiennent à toutes les époques de sa longue carrière. Dès son premier séjour à Florence après son retour de Rome, il en écrivait, comme le prouvent ceux qu’on lit sur le verso de sa première esquisse du David du musée du Louvre, et nous savons par Condivi qu’après avoir achevé la statue de la place du Palais-Vieux, « il resta quelque temps sans faire aucun ouvrage de sculpture, s’étant entièrement consacré à l’étude des poètes et des orateurs italiens, ainsi qu’à faire des sonnets pour son plaisir. » Ceux de ses poèmes que l’on peut rapporter à cette époque sont en petit nombre, et en général parmi les moins bons. Condivi nous assure que Michel-Ange « n’aimait pas seulement la beauté humaine, mais toute belle chose, un beau cheval, un beau chien, un beau pays, les forêts et les montagnes. » Il est cependant permis de conjecturer que l’homme l’intéressait plus que les choses, et que si le sentiment de la nature inanimée tient si peu de place dans ses vers, cette lacune n’est pas due au hasard seulement. L’amour, son art, les idées religieuses, tels sont les textes habituels de ses poèmes, et tout indique que ces sujets sont bien ceux qui, à des degrés très divers, préoccupaient le plus sa pensée.

Je ne m’arrêterai point à ses vers amoureux; je n’y crois pas. Si Michel-Ange eût aimé, il serait resté de son amour d’autres traces que de pâles imitations de Pétrarque. Que l’on compare au charmant sonnet du chantre de Laure :

Sennucio i’ vo’ che sappi in qual maniera
Trattato sono,


la pénible paraphrase qu’en a faite Michel-Ange, et l’on se convaincra qu’il écrivait ses premiers vers par activité d’esprit et par une condescendance à la mode qu’on est étonné de rencontrer chez lui bien plutôt que sous l’empire de souvenirs réels.

De mœurs pures dès sa jeunesse, Michel-Ange était tout à son art; les témoignages de ses biographes sont sur ce point trop nets et trop unanimes pour qu’il soit à propos de beaucoup insister. « Je l’ai souvent entendu, écrit Condivi, raisonner et discourir sur l’amour, et j’ai appris des personnes présentes qu’il n’en parlait pas autrement que d’après ce qu’on en lit dans Platon. Je ne sais pas ce qu’en dit Platon, mais je sais bien que j’ai beaucoup et très intimement connu Michel-Ange, et je n’ai jamais entendu sortir de sa bouche que des paroles très honnêtes et capables de