Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/964

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résoudre à en parler au maire. Elle croyait à un suicide, et le fonctionnaire municipal fut de son avis. On annonça donc à la population des deux Balaruc que, la naturelle ayant dû se noyer dans l’étang de Thau, une messe allait être dite pour le repos de son âme.

À peine Urbain apprit-il la fatale nouvelle, qu’il partit éperdu pour le Cross de Nïou, espérant que le précom l’aiderait à éclaircir ce triste mystère. En arrivant à Imbressac, quelles ne furent pas sa surprise et sa joie ! La Clavelette était là. C’était chez Picouline qu’après un mois de vains efforts, elle venait chercher un refuge. La pauvre enfant était à peine reconnaissable : elle était si maigrie que la petite robe brune était devenue trop grande pour son corps malingre ; sa pâleur était effrayante, et une seule chose semblait encore vivre en elle, ses grands yeux bleus.

— Il n’y a que mon visage de changé, dit-elle au panar en lui tendant la main ; mon cœur est le même.

La naturelle n’était que depuis quelques instans chez le précom. Lorsqu’elle fut un peu reposée, et que quelques gouttes de vieux vin que Picouline avait en réserve dans sa gourde l’eurent réconfortée, elle consentit, bien qu’en rougissant, à faire l’aveu de sa fuite et le récit de ses souffrances.

La Clavelette raconta que, décidée à vivre de ses mains, elle avait essayé du travail de la traîne[1], qui, tout en brisant son corps, ne lui donnait qu’un mince salaire, accordé même par charité à ses efforts stériles. Elle était revenue bientôt à son premier projet, celui de se louer dans les mas, mais on l’avait trouvée trop délicate, et on se la renvoyait de village en village. Son petit bonnet d’hôpital, son apparence maladive, le mystère dont elle était obligée d’envelopper son passé, la firent regarder comme une aventurière. Épuisée par de longues courses et découragée, la naturelle, plus pauvre encore qu’au départ, revenait donc bien tristement à Balaruc.

Le Franciman annonça d’une voix émue à la jeune fille qu’il se trouvait maintenant assez riche pour deux, et rien ne s’opposant plus à leur union, il espérait que sa tendresse lui rendrait bientôt la santé et la joie. — Hélas ! reprit mélancoliquement Catha, le bonheur arrive trop tard !…

La souffrance avait en effet brisé la Clavelette, et la jeune fille se sentait arrivée au terme de sa triste existence. Le Franciman désespéré voulait appeler le meilleur médecin de la contrée. Picouline s’y opposa. — Son heure est marquée, dit-il à voix basse en serrant la main d’Urbain. Laissons-la s’éteindre en paix ; les instans de sa mort seront les moins tristes de sa vie.

  1. Espèce de pêche au filet.