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grisâtre ; la verdure du parc disparaissait sous la poussière ; les herbes croissaient librement dans la cour ; le chenil était vide. Une tige de fer, seul reste du cadran solaire, marquait la marche du temps, sans en compter les heures, sur la façade décrépite. Les cheminées tombaient en ruines, et les araignées tissaient de larges toiles d’une fenêtre à l’autre.

La Murade était habitée par deux vieillards. L’un, le maître, était aveugle et maniaque ; l’autre, le serviteur, était sourd et infirme. Nouveaux Oreste et Pylade, ils ne s’étaient jamais quittés, et se suffisaient si bien l’un à l’autre, que leur affection jalouse avait depuis longtemps exclu tout visiteur. La Murade avait servi en 1815 de refuge à Mme la duchesse d’Angoulême, et, dans son culte fanatique pour la branche aînée des Bourbons, le châtelain, voulant conserver son manoir tel qu’il était lors de cette visite mémorable, aima mieux le voir tomber en ruines que de le profaner par des réparations. Un jour pourtant des ouvriers y apparurent : c’était en 1830 ; ils venaient peindre en noir les volets du château en signe de deuil. Le serviteur était le digne acolyte de son maître. Tous deux ensemble, se rappelant les moindres détails de la fuite de la duchesse d’Angoulême, visitaient avec recueillement la chambre qu’elle avait habitée, et baissent l’anneau qu’elle avait laissé en souvenir.

Le serviteur était chargé de la correspondance et de la comptabilité du châtelain ; mais bientôt sa main tremblante ne tint plus la plume qu’avec difficulté, et ce fut alors que le Franciman, en dépit des mauvais bruits qui couraient sur le château emmasqué, franchit la grille rouillée, et s’offrit comme secrétaire aux deux vieillards. Après quelques hésitations, ils l’acceptèrent, et chaque jour le panar alla passer à La Murade le temps que lui laissait l’intervalle des classes. Le châtelain était généreux. Urbain se vit donc largement récompensé du zèle qu’il mit à remplir son nouvel emploi ; mais ce n’était pas encore assez pour l’amoureux jeune homme, et, trouvant aussi le moyen d’employer ses soirées d’une manière fructueuse, il alla après souper, de mas en mas, donner des leçons aux enfans des païres, qui, se rendant déjà utiles aux travaux de la terre, furent charmés de pouvoir s’instruire sans perdre leur journée.

Urbain avait caché à la Clavelette l’heureux concours de circonstances qui lui permettait de recueillir des ressources inespérées. Il ne voulait lui donner cette bonne nouvelle qu’avec la certitude de lui annoncer leur prochain mariage. Pouvait-il prévoir ce que lui coulerait ce silence ? Un jour, tout Balaruc apprit que la Clavelette avait disparu. La jeune fille s’était décidée, elle aussi, à conquérir sa dot par le travail. Mlle Barbot avait essayé, pendant près d’un mois, de garder secrète la fuite de Catha ; mais elle avait fini par se