Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque contrariété, et il la conduisit mystérieusement dans le petit jardin du presbytère pour écouter ses doléances. Ayant aperçu à travers sa lucarne le vieux prêtre et Mlle Barbot en secret conciliabule sur le banc de l’enclos de la cure, le Franciman courut prier Picouline de lui prêter sa barque, pour aller bien vite trouver la Clavelette, qui devait être seule à l’école.

Il était de bonne heure, et la petite maison de la sœur était encore fermée lorsque le bateau aborda devant la façade qui s’élevait sur le bord de l’étang. La croisée de la chambre de Catha était seule ouverte, et le panar, décidé à profiter de cet instant de solitude pour faire à la jeune fille le doux aveu qui avait été si cruellement interrompu la veille, rama sous sa fenêtre, interrogeant de l’œil le rivage désert.

La matinée était belle et calme, l’étang silencieux. La Clavelette rêvait à sa croisée. Elle jeta un cri de joie en apercevant le Franciman, et dans la main qu’il lui tendait, elle plaça en rougissant sa main, qui devint ainsi l’ancre charmante destinée à retenir la barque immobile.

— J’ignorais que notre affection mutuelle fût différente de l’amitié, dit-elle d’une voix tremblante. Nous sommes trop pauvres pour nous aimer d’amour… Adieu donc ! Je vais faire une relique des débris de mes anneaux de verre ; vous me les avez donnés avant l’aveu de votre cœur, et ce souvenir fraternel me rappellera les seuls instans de bonheur qu’il m’ait été permis de goûter.

Le soleil empourprait déjà l’horizon, les bateaux commençaient à sillonner l’étang, la cloche de Balaruc tintait l’heure du travail, un bourdonnement enfantin annonçait l’entrée à l’école. Il fallut se quitter, et le bateau du Franciman fut rapidement entraîné vers l’autre rive.

— La Clavelette m’aime ! disait avec joie le panar en rentrant dans les sombres ruines du hameau.

Et il commença résolument sa classe, jurant qu’avant l’hiver il aurait amassé la petite dot qui manquait à Catha.


IV

Dès ce moment, le Franciman n’eut plus qu’un but, celui de devenir assez riche pour épouser la pauvre fille. Il pensa d’abord pouvoir employer les heures que lui laissaient ses classes dans un mas des environs ; mais le capélan lui enleva tout espoir de se louer comme valet, déclarant un jour en chaire que le travail de la terre était interdit à un instituteur, car il ne devait jamais déroger à la dignité de ses fonctions. Après plusieurs tentatives infructueuses, Urbain eut l’idée d’ouvrir une classe d’adultes le soir dans son