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comme on pouvait s’y attendre, beaucoup d’objections. Cette catastrophe finale du monde, avec ses nudités, ses violences d’attitude, ses développemens de muscles et de formes, son caractère d’humanité gigantesque, son oubli de la pensée chrétienne, paraît avoir été vivement blâmée par plusieurs des contemporains et même des amis de Michel-Ange, entre autres par l’Arétin, qui écrivait à Enea Vico que «cette peinture pourrait faire mettre son auteur parmi les luthériens. » Le pape, lui, ne se scandalisait-pas et prenait les choses plus gaiement. Un jour qu’il allait visiter les travaux de la Sixtine, accompagné de son maître des cérémonies Biagio da Cesena, il lui demanda ce qu’il pensait de cette peinture. Biagio répondit qu’il lui paraissait déplorable qu’on eût mis dans un endroit si respectable tant de figures qui montraient sans honte leur nudité, et qu’elles conviendraient mieux à une salle de bains ou à un cabaret qu’à la chapelle du pape. Michel-Ange l’entendit, et, dès qu’il fut seul, il représenta le malheureux maître des cérémonies au milieu des damnés, sous les traits de Minos. La ressemblance était si frappante que l’histoire ne tarda pas à courir la ville. Biagio alla porter ses doléances au pape, qui lui demanda où Michel-Ange l’avait placé. « Dans l’enfer, répondit-il. — Hélas! reprit Paul en riant, s’il ne t’avait mis qu’en purgatoire, je t’en tirerais; mais puisque tu es en enfer, mon pouvoir ne va pas jusque-là, je n’y puis rien. Nulla est redemptio. »

Dès son avènement au pontificat, Paul IV voulut faire effacer le Jugement dernier. On n’obtint qu’à grand’peine qu’il révoquât l’ordre qu’il avait déjà donné. « Dites au pape, répondit Michel-Ange à quelqu’un qui lui parlait du mécontentement du pontife, qu’il ne s’inquiète point de cette misère, mais un peu plus de réformer les hommes, ce qui est beaucoup moins facile que de corriger des peintures. » Paul se borna à charger Daniel de Volterre d’habiller (ce qu’il avait déjà fait pour l’Isaïe de Raphaël) les figures qui blessaient le plus ses scrupules. Le peintre s’acquitta de sa tâche à la satisfaction du pontife, ce qui lui valut le surnom de braghettone, le culottier.

Cette fresque ne devait pas être le dernier ouvrage de peinture de Michel-Ange. Paul III avait fait construire dans l’intérieur du Vatican la chapelle qui porte encore aujourd’hui son nom. Il chargea Michel-Ange d’y peindre deux tableaux, représentant la Crucifixion de saint Pierre et la Conversion de saint Paul. Ces fresques ne furent terminées que beaucoup plus tard, en 1549 probablement, c’est-à-dire très peu de temps, avant la mort de Paul et lorsque Michel-Ange était âgé de soixante-quinze ans. Ce travail l’avait beaucoup fatigué. « La peinture, et surtout la fresque, disait-il à Vasari, ne conviennent pas aux vieillards.» Quoiqu’ils soient maintenant en fort mauvais état, on retrouve dans ces deux ouvrages le peintre de la Sixtine, mais plus par ses défauts que par ses qualités : l’inspiration n’est pas soutenue; le dessin, audacieux et savant comme toujours, est violent sans motif, et il ne servirait à rien de le cacher; ils trahissent cette lassitude de l’âge à laquelle Michel-Ange devait plus qu’aucun autre échapper, mais que nul n’évite complètement.

San-Gallo étant mort en 1549, Michel-Ange fut nommé architecte de