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l’instituteur. Les blancs parlaient d’un nouveau candidat que le capélan allait faire venir de Montpellier ; les rouges assuraient hautement de leur côté que le panar aurait la majorité des voix dans le conseil municipal.

Une seule personne avait su, par son adresse et son hypocrisie, maintenir également son crédit dans les deux camps rivaux de Balaruc : c’était Mlle Ambroisine Barbot, l’institutrice communale. Elle se glissait tantôt chez le maire, tantôt chez le capélan, les flattant tous deux en face et les déchirant dès qu’elle se trouvait avec leurs ennemis. C’était une vieille fille osseuse, à qui la maigreur servait de prétexte pour se croire d’une nature moins vulgaire que celle des robustes paysannes qui l’entouraient. Petite, alerte, intrigante, un peu bossue, les cheveux roux et les yeux gris, Mlle Barbot avait eu le talent de faire supposer aux villageois que toutes les dames étaient ainsi faites, et chacun dans Balaruc parlait de la sœur[1] comme d’une femme supérieure.

Bon gré, mal gré, Urbain se vit forcé de rendre visite à ce redoutable confrère. Le jour même où il avait dû renoncer à l’hospitalité de la cure pour accepter celle de Picouline, il se décida à prendre le chemin de Balaruc-les-Bains, où demeurait Mlle Barbot. L’abbé, tout en interdisant au futur instituteur le séjour de l’école, n’avait pas jugé à propos de se priver tout à fait de ses services. Ayant rencontré Urbain dans l’allée des broussonnetias, il l’aborda sans lui témoigner ni sympathie ni ressentiment, et de ce ton froid et compassé qui lui était propre, il le chargea d’une commission pour Catha, une jeune fille que Mlle Ambroisine avait fait venir récemment de l’hospice des enfans trouvés de Montpellier, pour l’aider à soigner les plus jeunes élèves de sa classe et leur apprendre la croix (alphabet). — On l’appelle la Clavelette[2], tant elle est longue et maigre ! dit le curé à Urbain. Elle n’est pas venue à confesse depuis son arrivée. Mlle Barbot se plaint beaucoup de cette enfant, elle ne la garde que par charité. Vous devez nous aider à la ramener dans le bon sentier, et je vous charge de lui rappeler ses devoirs religieux.

L’Angélus sonnait, le panar prit congé de l’abbé Tabourel et se rendit à Balaruc-les-Bains, se demandant si la mission dont venait de le charger le capélan n’était pas une épreuve. Afin d’en sortir victorieux, il se mit, tout en cheminant, à préparer la morale qu’il se proposait d’adresser à la Clavelette. Comme il ouvrait la porte de l’école de Mlle Barbot, une officieuse voisine vint apprendre au

  1. On appelle ainsi les institutrices dans les villages du Bas-Languedoc.
  2. Diminutif de clavel, qui signifle clou en languedocien.