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panar (le boiteux), bien que son infirmité fût à peine apparente. Jugé apte enfin à remplir les fonctions d’instituteur, il avait quitté l’école normale, et c’était au village de Balaruc-le-Vieux qu’on l’envoyait pour prendre la place de l’ancien maître d’école, enlevé par une mort subite à son humble labeur de chaque jour.

Après avoir lu la missive du directeur de l’école normale, le vieux prêtre regarda Urbain avec attention. Ses yeux éteints parurent s’animer un moment, mais ils reprirent bientôt leur fixité morne. L’abbé Tabourel tendit au jeune homme une main sèche et ridée.

— Dès demain, dit-il, je vous présenterai au maire et aux conseillers municipaux, car vous n’ignorez pas qu’il vous faut leurs suffrages pour être nommé instituteur de la commune ; mais soyez sans inquiétude, ils obéissent d’ordinaire à mon influence.

L’abbé avait accentué ces derniers mots avec une énergie qui fit tressaillir Urbain. Il sembla au panar que l’abbé Tabourel le regardait déjà comme son docile instrument. Il essaya de cacher cette impression de trouble, et, sans répondre aux dernières paroles du prêtre, s’enquit d’une auberge. — Pécaire ! dit la vieille servante, une auberge à Balaruc-le-Vieux ! Quelqu’un vient-il jamais ici ? Mais suivez-moi : puisque vous allez remplacer le maître d’école défunt, je vais vous conduire au logement qu’il occupait, et qui va devenir le vôtre.

Prenant une chandelle fumeuse, elle se dirigea vers une porte, en tira les verrous rouillés, et fit traverser à Urbain deux ou trois grandes pièces froides et nues. — Ceci, dit-elle, est la commune (mairie). L’église, la cure, la commune et l’école sont un reste de l’ancien château, et dépendent de M. le curé.

Ils étaient arrivés dans une chambre assez misérable, transformée en classe par une vingtaine de petites tables noires alignées en plusieurs rangs. Une mauvaise couchette, mal dissimulée par des rideaux de cotonnade jaune, indiquait que c’était là tout le domaine de l’instituteur. Cette chambre avait pour fenêtre une étroite lucarne donnant sur le jardin de la cure, qu’entouraient de grands murs tapissés de lierres séculaires. Le panar s’endormit tristement.

Le lendemain, Urbain sortit de bonne heure. Il avait hâte de contempler au soleil sa nouvelle résidence, et d’oublier les fâcheuses impressions de la veille. L’aspect de Balaruc-le-Vieux lui parut malheureusement aussi triste le jour que la nuit. Jamais village, il faut le dire, n’a mieux mérité son surnom. Balaruc-le-Vieux, qui remonte au Xe siècle, ne possède pas une seule maison blanche et neuve ; la population habite des logis en ruine, héritage des siècles passés. Chaque famille s’arrange un réduit dans les amas de pierres noircies et descellées par le temps, de