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rester voisine autant que possible de la valeur effective ; mais même quand elle s’en éloigne un peu, elle remplit sa fonction, si la confiance publique n’en est pas atteinte. Pour cela, il suffit qu’elle ne puisse être suspectée d’altération. Cette pièce d’or que je reçois vaut en réalité quelques centimes de moins que le prix que j’y ai mis ; qu’importe si je retrouve ce prix au moment où je la cède ? Dans cette habitude et ce consentement, il y a des garanties et une sécurité que n’offrirait pas le débat facultatif de la valeur. Qu’on se place en effet dans l’hypothèse d’un prix contesté et d’un cours variable. Cette même pièce d’or n’est plus qu’une marchandise ; elle vaut tant pour celui-ci, tant pour celui-là, moins le lendemain que la veille, plus dans des mains habiles que dans des mains inexpérimentées ; on peut la refuser ou l’admettre ; quand on la détient, on ne sait pas au juste ce qu’on a. Qui ne voit les inconvéniens de ce régime, les troubles qui en sortiraient, les défiances qui y sont en germe, les embarras qu’il apporterait dans les transactions ? L’effet le plus immédiat serait de faire disparaître l’or de la circulation monétaire, ou du moins de diminuer l’emploi de cette monnaie commode, portative, dont le goût s’est si vite répandu, pour nous ramener à ces disques d’argent si lourds à manier, et dont on ne s’encombrait qu’avec répugnance.

J’en ai fini des petites querelles que j’avais à vider ici avec M. Michel Chevalier : ses opinions sont de celles qu’on ne peut effleurer dans des éloges, ni écarter par des réticences ; les discuter, c’est témoigner le poids qu’elles ont. Leur titre incontestable est l’originalité. Sous l’économiste, on y voit l’ingénieur nourri de solides lectures qu’ont fortifiées ses observations personnelles, sachant beaucoup et jaloux de communiquer ce qu’il sait, mettant au service de ses doctrines une abondance inépuisable de renseignemens, aussi positif qu’un professeur doit l’être, et cependant faisant çà et là et à propos une part à l’imagination. Il ne faut pas lui demander d’aller bien avant dans le champ des idées abstraites : ce n’est pas son but, ni la tournure habituelle de son esprit. Il aime mieux prouver que disserter. Quant au style, la variété des tons y domine ; le ton s’élève ou descend suivant l’occasion : ce sont des contrastes nécessaires ; l’essentiel, et l’auteur excelle en cela, est d’y faire ligner une grande clarté. Faut-il ajouter que parfois l’expression va plus haut que le sujet, qu’elle devient trop brillante, trop colorée ? D’autres y applaudiraient, et si j’y résiste, c’est en me défiant de mon goût et sans vouloir donner à mon observation la forme d’un reproche.