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tries, l’habileté des industriels, constituaient autant d’inégalités, qu’avec de grands efforts les uns cherchaient à maintenir, les autres à détruire. Qui oserait prétendre, hormis quelques rêveurs, que ces compétitions intestines ont été un mal ? Les résultats sont trop manifestes. Si quelques industries ont reçu des échecs, combien d’autres en sont nées ! Quelle sève, quelle vigueur se sont communiquées à toutes ! Dans ce choc des forces, une paix s’est faite, un niveau s’est établi. Les débouchés se sont mieux distribués, le domaine commun s’est étendu par les conquêtes, la consommation s’est accrue par l’abaissement des prix et par la perfection des produits, par les variétés d’emploi, par les combinaisons que trouve le génie humain aux prises avec la difficulté. Voilà donc une loi certaine et bien vérifiée : aucune n’est plus favorable à cette production, à ces forces productives dont l’économiste allemand prend tant de souci. Pourquoi supposer maintenant que cette loi dont le marché intérieur n’a ressenti que de bons effets deviendrait funeste, si elle s’appliquait aux marchés extérieurs ? Quel motif plausible donne-t-on pour cela ? S’agit-il des inégalités de nature ? Ces inégalités étaient aussi grandes sur notre territoire même, et vis-à-vis des pays étrangers elles ont une compensation de plus dans l’éloignement, dans les frais de transport, dans le tribut que prélèvent les intermédiaires. Qu’il y eût à lutter, personne n’en disconvient ; mais pour les hommes réfléchis et de bonne foi, l’issue de la lutte n’est pas douteuse. Il se ferait alors au dehors ce qui s’est fait au dedans, un travail de répartition où chaque industrie serait traitée suivant ses mérites, où l’indolence qui naît du monopole ne serait permise à aucune, où la fortune ne s’acquerrait qu’au prix d’un effort plus continu et de services plus sérieux rendus à la communauté. Tout cela a été dit et prouvé bien des fois sans essuyer d’autre réfutation que celle des clameurs et des menaces.

Un seul argument nouveau est sorti des derniers événemens, et cet argument, c’est la guerre. Par une mesure souverainement maladroite, pour ne pas la qualifier plus durement, l’Angleterre en a un moment fourni le prétexte ; elle a frappé d’un avis comminatoire la sortie de ses charbons. Voyez donc ce qui se passe, s’est-on écrié, et n’avions-nous pas raison de dire que la France doit avoir ses industries propres, indépendantes de l’approvisionnement étranger ? Sans houille et sans ateliers de machines, où en seraient nos moyens de défense ? Pour condescendre à des théories imaginaires, nous nous serions tout uniment désarmés. Cet argument n’est pas si nouveau qu’on le suppose : dans l’agitation sur le régime des céréales, on en fit grand bruit de l’autre côté du détroit, et M. Cobden y répondit qu’il valait mieux à la rigueur exposer un pays à être affamé pendant la guerre que de le condamner à une famine