Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa chaire de professeur d’économie politique au Collège de France, que depuis sept ans il occupait avec tant d’éclat et d’autorité. Personne n’était plus naturellement désigné pour lui succéder que M. Michel Chevalier. Il n’avait pas seulement le talent propre à ces fonctions, il avait ce que rien ne supplée, des doctrines. Depuis qu’il tenait la plume, il parlait de la science économique en homme qui a vécu dans le commerce des maîtres, et sait rendre hommage à leurs services tout en discutant leurs idées. Quoique les données spéculatives lui fussent familières, c’est surtout vers l’application qu’il inclinait, et cette disposition de son esprit était en harmonie avec les besoins du temps. Jean-Baptiste Say avait reproché à l’économie politique de s’entourer de trop de nuages, et d’oublier qu’elle a un rôle à jouer dans le gouvernement des affaires humaines. M. Michel Chevalier s’était armé de ce reproche pour tirer la science de ses hauteurs, la rendre plus accessible, la mêler plus qu’on ne l’avait fait à la vie active des sociétés. Ce devait être la nouveauté de son enseignement ; aussi sa nomination n’éprouva-t-elle point d’obstacle. Sur la double proposition des professeurs du Collège de France et de l’Académie des Sciences morales et politiques, il obtint la chaire que ses prédécesseurs avaient illustrée. L’héritage était à la fois glorieux et périlleux : le nouveau titulaire sut s’en montrer digne.


II.

Quand on prononce le mot d’économie politique, il est des personnes, et le nombre en est grand, qui ne peuvent se défendre d’un sentiment d’irritation. L’économie politique a deux sortes d’ennemis, ceux qui ne la connaissent pas et ceux qui la connaissent trop bien, ceux qu’elle obsède et ceux qu’elle menace. De là cette guerre qu’on lui déclare et ces accusations qui, partant de points différens, ne se rencontrent que pour la condamner. Tantôt on en fait une machine de guerre introduite sous l’influence et au profit des peuples étrangers, et qui, si on n’en conjure les effets, couvrira notre territoire de ruines ; tantôt on y voit un agent de dissolution qui, servi par les instincts dominans, doit un jour, à raison de l’importance accordée aux biens matériels, étouffer dans les cœurs jusqu’aux derniers germes de la grandeur morale. Nous verrons plus tard ce qu’il faut penser du premier de ces griefs ; c’est au second, comme le plus essentiel, qu’il convient d’abord de répondre.

La querelle n’est pas nouvelle ; toutes les philosophies, toutes les religions y ont abondé plus ou moins. Dans ce que Dieu a joint si visiblement, on a toujours cherché à établir la séparation et la lutte. On a essayé de dédoubler l’homme pour ainsi dire, d’y voir deux élémens qui ne sont confondus que pour se combattre. Entre les