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die et utile diversion, les efforts héroïques de la population, dont les sorties incessantes ne laissaient aucun repos aux assiégeans, ne pouvaient que retarder la chute de la dernière des républiques italiennes qui eût gardé presque intacts la lettre et l’esprit de ses institutions. La famine vint s’ajouter aux complots. Enfin Malatesta jeta le masque, livra la Porte-Romaine, introduisit les impériaux dans la ville, qui capitula le 12 août 1530. Quoique la capitulation eût stipulé une très large amnistie, les plus illustres citoyens de Florence furent mis à mort, exilés ou dépouillés de leurs biens. Si Michel-Ange eût été pris, son sort n’était pas douteux, car, ainsi que quelques-uns des principaux défenseurs de la ville, il avait été exclu de l’amnistie. Il se cacha, les uns disent chez un ami, plus probablement, suivant une tradition de famille, dans la tour de Saint-Nicolas, au-delà de l’Arno. Il y resta quelque temps. La colère du pape se calma : Clément avait besoin de Michel-Ange pour terminer les tombeaux de Saint-Laurent, et il fit publier qu’il lui accordait la vie et l’oubli du passé.

Pendant l’un des séjours qu’il avait faits à Ferrare, Michel-Ange s’était engagé, pour reconnaître l’hospitalité du duc Alphonse, à lui faire un tableau aussitôt après son retour à Florence, et il avait achevé pendant le siège une Léda qu’il lui destinait. Le duc, craignant qu’il ne lui arrivât malheur pendant les troubles qui suivirent la reddition de la ville, avait envoyé un de ses gentilshommes pour le lui demander; mais par suite de la sottise de l’envoyé, ce tableau vint en France au lieu d’aller à Ferrare. Vasari nous a conservé un récit de la discussion qui décida de son sort, et qui montre une fois de plus ce que l’esprit de Michel-Ange avait d’irritable, ce que son cœur avait d’excellent. « Il accueillit gracieusement le gentilhomme, et lui montra un grand tableau où il avait représenté Léda embrassant Jupiter transformé en cygne. Ce noble personnage lui dit : — Oh! c’est bien peu de chose! — Quel est donc votre métier? demanda Michel-Ange. — Je suis marchand, répondit l’autre, comme pour donner à entendre qu’il méprisait l’industrie des Florentins. Michel-Ange, le comprenant fort bien, lui répliqua aussitôt : « Eh bien! messire marchand, vous ferez aujourd’hui un mauvais marché pour votre patron. Sortez d’ici.» Il fit présent de ce magnifique tableau à Antonio Mimi, son élève, qui, ayant deux sœurs à marier, s’était recommandé à lui. » Mimi apporta en France cet ouvrage, avec des dessins, des cartons, des modèles, que Michel-Ange lui avait donnés. La plupart de ces trésors périrent comme tant d’autres belles choses que nous n’avons pas su conserver. La Léda fut achetée par François Ier et placée à Fontainebleau. Elle y était encore sous Louis XIV, lorsque le scrupuleux Desnoyers la fit mutiler, et donna même l’ordre de la brûler. Cet ordre ne paraît pas avoir été exécuté, car Mariette vit reparaître ce tableau en plein XVIIIe siècle, « mais si endommagé, qu’en une infinité d’endroits il ne restait que la toile. A travers ces ruines, on ne laissait pas que de reconnaître le talent d’un grand artiste, et j’avoue que je n’ai rien vu de Michel-Ange d’aussi bien peint. Il semblait que la vue des ouvrages de Titien qu’il avait vus à Ferrare, où son tableau devait aller, l’excitait à prendre un meilleur ton de couleur que celui qui lui était propre. Quoi qu’il en soit, j’ai vu res-