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Avec la popularité dont il jouissait dans tout l’ouest, Cartwright aurait pu aspirer à tous les honneurs ; mais il s’est toujours tenu en dehors de la politique, et s’il rechercha une fois les suffrages populaires, ce fut affaire de conviction. Il s’était établi avec sa famille dans l’Illinois ; la législature voulut remettre en question la loi qui interdisait l’esclavage. Cartwright se fit aussitôt élire député pour parler et voter contre le rétablissement de l’esclavage, et, la victoire définitivement remportée, il refusa toute candidature. Il paraît avoir conçu, pendant ce court passage aux affaires, une idée peu favorable des mœurs politiques de son pays ; ce qui lui a laissé surtout un amer souvenir, ce sont les attaques de toute sorte auxquelles il se vit en butte dès que sa candidature fut annoncée. On alla jusqu’à l’accuser d’avoir nié une dette et de n’avoir pas reculé devant un faux serment. Il traita ses adversaires politiques comme il traitait ses adversaires religieux, et il eut raison de tous. Rencontrant un électeur qui avait juré de le cravacher, Cartwright se nomme, déclare qu’il ne veut pas vivre sous le coup d’une appréhension perpétuelle, et somme son adversaire d’exécuter sa menace. En même temps il retrousse ses manches ; son adversaire lui tend la main et devient son plus chaud partisan.

La dernière conférence générale des méthodistes américains s’est tenue à Indianapolis en 1857 : les méthodistes d’Angleterre s’y étaient fait représenter par un délégué, le docteur Jobson, qui a vu et entendu Cartwright, alors dans sa soixante-treizième année, et voici le portrait qu’il trace du vénérable prédicateur :


« Le second de l’assemblée par l’âge est le docteur Pierre Cartwright, homme grand et robuste, dont la physionomie aussi bien que les discours respirent un mélange de simplicité primitive avec une bonne dose d’humour. Ses chairs fermes comme le marbre, son air rude et obstiné, annoncent l’homme intrépide et rompu à la fatigue. Ce n’est pas cependant que sa physionomie exclue la bonne humeur et la bonté, car sa bouche, ses yeux et la mobilité de ses joues accusent une nature sympathique et tendre. Sa tête est forte et repose solidement sur de larges et robustes épaules ; son front est large et recouvert d’une forêt de cheveux grisonnans. Ses yeux, très foncés en couleur, brillent comme deux feux noirs sous ses sourcils hérissés, et les deux rides qui en marquent les coins ajoutent à l’expression particulière de sa physionomie. Sa peau est fortement brunie par le soleil. Sa voix tremble quand il commence à parler, mais bientôt elle recouvre son ancienne puissance et la richesse de tons de l’orgue. L’orateur en développe et en fait jouer habilement toutes les cordes. Par momens, pour aiguiser ses traits et les rendre plus pénétrans, il prend par dérision un ton et une physionomie tragiques ; puis, après avoir raconté quelque anecdote des bois qui fait tordre de rire l’assistance sans qu’il perde rien de sa gravité solennelle, il tombe sur son antagoniste avec une vigueur irrésistible et l’écrase sous ses sarcasmes. Est-il excité par la présence de plusieurs adversaires,