Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Oui, c’est le peu qui reste de moi.

« — A en juger par votre costume, les temps ont été durs. Vous retournez chez vous ; mais où en êtes-vous en fait d’argent ?

« — Colonel, je n’ai pas un sou de reste.

« — Voici trois dollars, et je vais vous faire une lettre de recommandation et un bon de crédit qui vous serviront jusqu’à Pilot-Knobb. »

« Vous comprenez si ma joie fut grande. L’argent et le crédit du colonel me menèrent quelques jours ; mais quand j’arrivai à la première taverne au-delà de Pilot-Knobb, je n’avais plus rien. Je ne savais que faire ; je demandai néanmoins à être logé. Je prévins le tavernier que je n’avais pas d’argent, que j’étais absent depuis trois ans et que je retournais chez mon père. J’ajoutai que j’avais une vieille montre et quelques bons livres dans mon havre-sac, et que j’essaierais de l’indemniser. Il me dit d’entrer et de n’avoir point d’inquiétudes. »


Cartwright convertit le tavernier, qui ne veut rien accepter de lui ; il rencontre encore des amis, et de nouvelles conversions lui valent d’être hébergé gratis.


« Le lendemain, j’arrivai à la maison avec six cents de reste. Ce qui précède vous donne une idée très incomplète des tournées des premiers missionnaires de l’ouest. Mes parens m’accueillirent avec joie ; je passai avec eux plusieurs semaines. Mon père me donna un nouveau cheval, une bride et une selle, des effets neufs et quarante dollars en argent. Ainsi équipé, je me tins prêt à trois autres années d’absence. »


Voilà l’homme, toujours plein de bonne volonté et de bonne humeur, et se rappelant sans cesse le précepte « qu’il faut être toujours prêt, en saison et hors de saison. » Il éprouvera bien quelques hésitations la première fois qu’on l’enverra prêcher à des Yankees, parce qu’il n’en a jamais vu, et que les Yankees passent pour des gens ennemis du zèle, réglés et cérémonieux dans leurs habitudes, accoutumés au beau langage, prompts à la critique ; mais comme le devoir parle, il prendra son parti en brave et ira affronter ces beaux diseurs. À la moindre invitation, ou même à la plus simple chance de gagner une âme, il montera sur une table, sur une borne, sur un tronc d’arbre, et commencera à prier et à prêcher. Voyage-t-il en charrette, il liera conversation avec ses compagnons de route, les amènera à parler de religion, et ne les quittera que convertis. S’il demande l’hospitalité dans une maison, il sollicitera la permission de prier avec et pour les maîtres du logis. Si un hôte incrédule l’enferme malicieusement dans une chambre, il priera tout haut, de façon que sa voix traverse la cloison et aille réveiller les sentimens chrétiens chez la femme de cet impie. Rien ne le décourage, rien ne le lasse : il prêchera trois jours et trois nuits, s’il le faut ; mais il ne quittera point la partie que l’œuvre de Dieu ne soit accomplie.