Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/887

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complètement poussée, cela ferait plus d’honneur à eux et aux autres, et surtout à la cause de Dieu. »


Le modèle du prédicateur de l’ouest, c’est l’homme qu’on vient précisément d’entendre, c’est Pierre Cartwright, ou, comme on l’appelle dans toute la vallée du Mississipi, l’oncle Cartwright, aux mémoires duquel nous avons déjà fait plus d’un emprunt. C’est en 1856, après cinquante-trois années d’apostolat, que Cartwright, cédant aux demandes dont il était importuné depuis dix ou douze ans, se décida à publier son autobiographie, qui a déjà eu aux États-Unis trente et une éditions, et qui est en train d’en avoir autant en Angleterre. Dans les premiers temps de son ministère, Cartwright tenait un journal de ses pérégrinations, afin de relater les progrès du méthodisme ; mais, s’étant rencontré avec plusieurs de ses confrères et découvrant qu’ils en faisaient autant que lui, il jugea que c’était par trop d’écritures sur le même sujet, et il abandonna son manuscrit aux souris et aux vers sans plus s’inquiéter de garder aucune note. On ne saurait trop déplorer la décision qu’il prit alors, et qu’il est le premier à regretter dans sa préface, en s’excusant sur cet acte de sa vie de n’avoir pu donner plus de suite et de précision à son œuvre. Le journal de Cartwright eût été bien préférable au livre que nous avons ; il nous eût montré le missionnaire dans sa vie de tous les jours, il nous eût fait assister à ses travaux, à ses joies, à ses peines, et il nous eût offert en même temps une peinture prise sur le fait de la vie matérielle et morale de l’ouest au commencement de ce siècle. Cartwright au contraire, en prenant la plume à la fin de sa carrière, s’est plutôt attaché à écrire un livre édifiant qu’à raconter les détails de sa propre vie. Il s’efface autant qu’il le peut, uniquement occupé de glorifier son Dieu et son église. Il aime d’un amour vraiment filial cette église méthodiste qui a éveillé à la pensée du salut son cœur d’adolescent, et qui a fait d’un pauvre pionnier l’instrument de tant de conversions. Il se réjouit de tous les succès qu’elle obtient, il s’afflige de tous les tiraillemens qui la divisent, de toutes les défections qui l’affaiblissent. Il enregistre, année par année, les adhésions qui viennent grossir le troupeau du Seigneur ; il rend un compte minutieux des travaux des conférences et de leurs discussions, et il semble, à l’entendre, que le sort de l’univers dépende des tempêtes qui agitent une secte américaine. Il songe ensuite à l’édification du lecteur, et les anecdotes s’accumulent sous sa plume : ce sont des pécheurs endurcis qui se convertissent inopinément, des saints qui défaillent et qui viennent à résipiscence, des hommes pervers frappés par un jugement de Dieu, des hypocrites démasqués, des hérétiques ou