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attachement affectueux pour Laurent et le souvenir attendri qu’il avait gardé de son protecteur et de son ami lui rendaient difficile de combattre ses successeurs dégénérés. C’est au milieu d’une carrière déjà avancée, et lorsqu’il paraissait plus décidé que jamais à se consacrer tout entier à son art, que des événemens impérieux vinrent changer ses résolutions, et, en le jetant au milieu des luttes politiques, donner à la seconde partie de sa vie un caractère particulier. La captivité de Clément VII n’avait pas été de longue durée. Charles-Quint venait de se réconcilier avec le pape, et le rétablissement des Médicis avait été l’une des conditions principales du traité de Barcelone. Le gouvernement de Florence n’attendit pas que le pontife eût mis le siège devant la ville pour se préparer à la défendre. Les fortifications étaient insuffisantes et en mauvais état. Tous les yeux se tournèrent vers Michel-Ange, qui fut nommé le 6 avril 1529 gouverneur et commissaire-général des fortifications. Le mouvement qui avait affranchi Florence était en accord parfait avec ses opinions. Quelles que fussent d’ailleurs ses répugnances personnelles, il ne pensait pas que le génie dispensât d’être honnête homme, et il accepta.

L’activité qu’il déploya dans cette occasion paraît avoir été prodigieuse. « Il fortifia la ville sur plusieurs points, dit Vasari, et entoura le mont San-Miniato de bastions qu’il ne construisit pas en gazon et en broussaille, comme cela se pratiquait ordinairement, mais en bon bois de châtaignier et de chêne. Il remplaça même le gazon par des briques faites avec de la bourre et de la fiente d’animaux. » En avril et en mai 1529, il était à Livourne, en juin à Pise, pour les travaux de la citadelle et pour les fortifications de l’Arno. Le mois suivant, il se rendait à Ferrare, où la seigneurie de Florence l’avait envoyé pour étudier le nouveau genre de fortifications employé par le duc Alphonse. Enfin, en septembre, il était attendu à Arezzo pour y diriger les travaux de défense.

Les fortifications de Michel-Ange, étudiées et tant admirées par Vauban, enferment encore la gracieuse église et les cyprès de San-Miniato; elles entourent d’une ceinture noire et sévère la plus charmante des collines. Je ne suis point compétent pour juger de la valeur de ces remparts comme ouvrages militaires; mais je ne les ai jamais revus sans penser au grand homme qui les a construits, et qui, pouvant se contenter de sa gloire d’artiste, a voulu s’associer au dernier effort que fit sa patrie pour reconquérir sa liberté.

La marche de Clément à travers la Toscane fut rapide. Pérouse, Cortone, Arezzo lui ouvrirent leurs portes, et il arriva au mois d’octobre sous les murs de Florence. San-Miniato commande la ville, et c’est de s’en emparer que le pape s’occupa d’abord. Outre les bastions, Michel-Ange avait armé le Campanile de plusieurs pièces de canon qui faisaient de grands ravages parmi les assiégeans. Il resta, suivant Vasari, presque continuellement dans le fort pendant les six premiers mois du siège, ne se fiant à personne et dirigeant tout par lui-même. « Lorsqu’il descendait dans la ville, dit le même auteur, c’était pour travailler furtivement aux statues de San-Lorenzo. » Ce mot échappé au biographe peint mieux que les plus longs discours dans quelle perplexité était alors l’esprit de Mi-