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l’église puritaine avait perdu tout esprit de prosélytisme ; alarmée des divisions qui se produisaient dans son sein, elle s’épuisait en efforts impuissans pour conserver une unité factice. En Virginie et dans les colonies du sud, le clergé anglican, abondamment pourvu par la libéralité des premiers colons, menait une existence facile, fréquentait les propriétaires des grands domaines, et ne prenait nul souci des petits blancs, qui chaque année quittaient les rives de l’Océan pour s’aventurer au-delà des Alleghanys, dans les solitudes de l’ouest. Tout enseignement religieux et moral, tout secours spirituel, tout culte aurait manqué pendant longtemps aux populations de la vallée du Mississipi, si, au moment même où le mouvement d’émigration prenait naissance, une transformation ne s’était accomplie au sein du protestantisme anglais.

Nos libres penseurs du XVIIIe siècle ont eu pour devanciers les libres penseurs anglais. Le siècle de la reine Anne fut le siècle des beaux-esprits et des incrédules. Le fanatisme puritain, qui avait si profondément remué l’Angleterre, n’avait pu survivre à l’absence de persécution ; il avait perdu toute action comme un ressort qu’on a cessé de tendre, et le ridicule avait achevé de lui ôter toute autorité sur les âmes. Le clergé anglican, que ne stimulaient plus ni l’ardeur de la controverse ni les dangers de la lutte, affranchi de toute inquiétude du côté des papistes comme du côté des républicains, s’occupait de politique et de littérature beaucoup plus que de théologie. Le salut des âmes était son moindre, souci ; bien rente, mondain et philosophe, il suivait le torrent du siècle, et se divisait en deux catégories : les cadets de famille, assurés par leur naissance d’arriver aux honneurs et aux sinécures opulentes, et les boursiers des universités, dont l’unique ambition était de devenir commensaux de quelque grand seigneur pour en obtenir ensuite un bénéfice. Les classes élevées avaient été conduites à l’incrédulité par les mauvaises mœurs, les classes moyennes par les mauvais exemples, et le peuple par l’abandon, l’ignorance et le défaut de toute instruction religieuse.

C’est à cet état des âmes qu’un réformateur entreprit de porter remède. John Wesley appartenait à une famille sacerdotale ; il était fils et petit-fils de ministres anglicans qui s’étaient distingués par leurs écrits et leurs travaux littéraires. Lui-même se fit remarquer de bonne heure par la ferveur de sa foi et la rigidité de ses mœurs. Simple étudiant à l’université d’Oxford, il forma avec quelques-uns de ses condisciples, gagnés par son exemple, une petite association : on se réunissait pour prier en commun, on se livrait aux bonnes œuvres, on s’imposait d’accomplir tous les jours, aux mêmes heures, les mêmes exercices de piété ; on s’interdisait les danses, le