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une résistance obstinée, sans la protection de la division navale, les étrangers eussent été traités en vaincus et bientôt rejetés hors de l’île. Pour ne pas laisser s’aggraver les querelles, le gouvernement du roi Louis-Philippe intervint de bonne heure. Ses ambassadeurs à Londres, le prince de Talleyrand et le général Sébastiani, adressèrent des représentations que lord Palmerston n’accueillit point avec cet empressement qui facilite les solutions. Abandonnées et reprises tour à tour pendant vingt ans, les négociations ont enfin abouti à une convention conclue le 14 janvier 1857 à Londres entre M. de Persigny pour la France, lord Clarendon et M. Henry Labouchère pour la Grande-Bretagne, l’un et l’autre membres du cabinet dont lord Palmerston était le chef. L’acte, ratifié deux jours après, a pris place dans le Bulletin des Lois de France pour recevoir exécution à partir du 1er janvier 1858. Ce règlement tient compte à la fois des droits historiques et des faits accomplis. Sur la partie nord-est et nord de l’île, de tout temps qualifiée de french shore, le privilège des Français est déclaré exclusif. Pour la côte ouest, il y a compromis. Les Anglais obtiennent un droit de concurrence sur une partie, un droit exclusif sur le reste. En retour d’un tel abandon, les Français participeront à la pêche dans le détroit de Belle-Isle et sur la côte du Labrador, ainsi que sur les côtes inoccupées du nord de Belle-Isle. Ils pourront en outre acheter l’appât aux pêcheurs anglais, et en cas d’insuffisance y pourvoir eux-mêmes, pêcher enfin, durant la saison comprise entre le 5 avril et le 5 octobre, toute espèce de poisson, et couper du bois conformément aux stipulations des traités antérieurs.

Le gouvernement français ne prévoyait aucun obstacle dans l’article 13, d’après lequel, « lorsque les lois nécessaires pour rendre la convention effective auraient été votées par le parlement impérial de la Grande-Bretagne et par la législature coloniale de Terre-Neuve, » des commissaires seraient nommés pour régler les détails laissés à leur décision. La législature de Terre-Neuve, interprète des passions plus que des intérêts des habitans, a refusé de sanctionner la convention. Cette prétention a trouvé de l’écho au sein du parlement anglais dans la séance du 10 mars 1859, et ce qu’on peut trouver étrange, M. Labouchère lui-même, l’un des signataires de la convention, s’est associé aux orateurs qui ont soutenu que la métropole n’avait pas droit de disposer ainsi pour la colonie.

Certes nous prisons haut cette large intervention des colonies britanniques dans leurs propres affaires ; mais ce serait en exagérer la portée au-delà de toute mesure que de leur attribuer en quoi que ce soit le privilège de souveraineté, qui n’appartient qu’aux métropoles. Avec la couronne d’Angleterre ont été conclus les traités qui