Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/862

Cette page a été validée par deux contributeurs.

maines rapporter à terre le fruit de leurs pêches, dont les familles achèvent la préparation. Ils trouvent enfin, dans une population peu éloignée de vingt à vingt-cinq millions de consommateurs, des débouchés qui entretiennent toute l’année un va-et-vient incessant de navigation. Ce dernier avantage, dont les Anglais possèdent l’équivalent dans leurs colonies, les Français l’avaient autrefois avec le Canada et l’Acadie, la Louisiane, Saint-Domingue. Aujourd’hui ils ne peuvent plus se livrer qu’à des expéditions intermittentes avec le petit nombre de possessions qui nous restent. On est en conséquence bien autorisé à soutenir que les primes à la pêche de la morue ne sont ni des encouragemens à une industrie factice et mal assise, ni même une excitation pécuniaire à une industrie utile, mais que la spéculation seule n’ose entreprendre, comme la pêche de la baleine : ces primes sont l’expiation des fautes ou des malheurs de l’ancienne monarchie. Ainsi les siècles sont solidaires, et la loi providentielle de responsabilité punit ou récompense les nations comme les familles et les individus.


V. — LA CONVENTION DE 1857. — RIVALITÉ DES FRANÇAIS ET DES ANGLAIS.

Cette loi de responsabilité enseigne à la France du xixe siècle que, faute de pouvoir aujourd’hui rétablir notre ancienne position en Amérique, nous devons accepter résolûment les sacrifices qui l’empêcheront de s’amoindrir. Les temps de paix sont exposés à des fautes comme les temps de guerre, et la diplomatie connaît des défaites pires que des batailles perdues. C’est la pensée qu’éveille dans notre esprit la convention relative à Terre-Neuve, dont la mise à exécution divise profondément la France et l’Angleterre, et dont il nous reste, pour compléter cette étude, à exposer l’origine et le caractère.

Ainsi qu’on l’a vu, les traités d’Utrecht (1713) et de Paris (1763) reconnaissaient aux sujets français le droit de pêcher et de sécher le poisson sur une partie du littoral de Terre-Neuve depuis le cap Bonavista, à l’est, jusqu’à la pointe Riche, à l’ouest, à la condition de n’y faire que des établissemens limités à la durée de la pêche, c’est-à-dire pendant la saison d’été. Était-ce un droit exclusif à leur profit ou un simple droit de concurrence ? Le texte des traités laissant des doutes, de fréquens conflits éclatèrent, surtout autour du cap Bonavista, assez rapproché de la capitale de l’île. Pour y mettre fin, le traité de Versailles (1783) stipula la renonciation de la part de la France à la portion de la côte comprise entre le cap Bonavista et le cap Saint-Jean, plus au nord, qui devint le nouveau point de départ de nos limites, et les prolongea, en compensation, sur la côte ouest, depuis la pointe Riche jusqu’au cap Raye. En même