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humaine, engourdie par un long chômage, s’éveille et s’agite ; les hommes courent aux agrès pour les réparer, aux bateaux pour les remettre en état et à flot, aux grèves pour les nettoyer, dans les anses de Miquelon pour faire provision d’un appât connu sous le nom de coque. Les regards et les cœurs se tournent vers l’orient, où brilleront bientôt, comme de blanches étoiles, les premières voiles de France. Elles arrivent en mars, et le cycle des travaux recommence. Ainsi s’écoulent et se renouvellent les générations, toujours alternant de six mois d’oisiveté, de solitude et de frivoles amusemens, à six mois de laborieuse et non moins joyeuse activité. Aussi rapide est le réveil de la nature que celui de l’homme. En quelques jours, les semences lèvent et croissent dans les jardins, toutes les herbes reverdissent sur les montagnes, les arbres poussent des jets vigoureux, et quelques semaines suffisent à des phases de végétation qui durent ailleurs des mois entiers.


IV. — RÔLE COMMERCIAL ET ÉCONOMIQUE DE SAINT-PIERRE ET MIQUELON. — LES PRIMES.

Au sein de ce mouvement d’hommes et de choses, il est aisé de constater le rôle propre de la petite colonie française. Saint-Pierre est le point d’appui de toutes les expéditions au Grand-Banc, qui viennent s’y approvisionner d’appât, renouveler leurs vivres et agrès, réparer leurs avaries : elles y déposent le produit des deux premières pêches, qui sont préparées et desséchées par les femmes et les enfans des familles sédentaires. C’est encore à Saint-Pierre qu’emmagasinent leurs récoltes les navires qui fréquentent Terre-Neuve, et à qui tout établissement sédentaire sur l’île est interdit. De là partent des expéditions directes, pendant huit ou neuf mois de l’année, pour les colonies françaises et les divers marchés américains. Saint-Pierre devient ainsi le nécessaire complément de tout le système des pêches.

Ses côtes, dont le relevé hydrographique occupa la jeunesse de Cook, présentent à l’est une rade et un port favorables à cette fonction d’auxiliaire. La rade, couverte contre la houle du large par l’îlot aux Chiens, est parfaitement sûre d’avril en décembre ; elle peut contenir quarante grands bâtimens. Dans le port ou barrachois, cent navires moyens du commerce tiennent à leur aise. Plus de cinquante, tirant jusqu’à 4 mètres d’eau, y mouilleraient avec sécurité pendant l’année entière après avoir pu y entrer pendant neuf mois. Dans ce double abri, il n’est pas rare de voir, au fort de l’été, trois cents navires pressés bord à bord. Un tel établissement, le seul qui reste à la France dans les eaux de l’Océan-Atlantique septentrional, a certes un grand prix pour une puissance maritime qui doit