Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/852

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les soins médicaux de l’équipage ; puis elle est habillée, c’est-à-dire ouverte et préparée. D’autres mains la saupoudrent de sel et l’empilent. Pour la morue verte, on s’en tient là ; pour la morue sèche, qui doit supporter une longue conservation, on ajoute la salaison et la dessiccation sur les grèves ou des étendages mobiles, soit à Terre-Neuve, soit à Saint-Pierre, soit même en France après le retour. C’est une entreprise que les familles de Saint-Pierre prennent à la tâche. En Norvège, au lieu de saler la morue, on la fume au-dessus d’un foyer de chaleur ; elle devient le stockfish du commerce. Dans la mer d’Islande, on recourt à des étuves, et les Anglais ont essayé de séchoirs à vapeur.

Outre sa chair, dont tout le monde connaît le rôle comme aliment populaire, la morue donne à l’homme d’autres produits utiles : des œufs ou rogue, que les pêcheurs bretons salent pour servir d’appât dans la pêche de la sardine ; — des huiles, extraites du foie, dès longtemps appréciées par l’industrie, et qui ont acquis, pour le traitement des maladies de poitrine, une vogue que ne justifie pas toujours la pureté de la substance employée ; — la drache, qui est aux foies et à l’huile ce que le marc est au raisin et au vin, etc. Enfin, emploi plus singulier et pourtant plus ancien, la morue sèche remplit à Terre-Neuve, dans toutes les transactions, la fonction de monnaie de compte, le quintal (50 kilogrammes) de morue étant estimé 20 francs. Ce rapport reste fixe, et les variations de valeur dans la matière monétaire se traduisent en hausse ou baisse sur les marchandises. L’économie politique trouverait à redire à une coutume qui semble appartenir aux temps primitifs de l’humanité ; mais le commerce s’en accommode, et si jamais on fabrique une monnaie pour Terre-Neuve, elle devra porter en empreinte le poisson favori de cette île, suivant l’usage des villes romaines, dont la fortune avait une origine analogue.

La saison d’été tout entière se passe dans ces rudes et quotidiens travaux, que vient troubler trop souvent la nouvelle de quelque malheur. Le marin, bon, généreux, dévoué à ses frères, accourt au premier signal de détresse. La fraternité du cœur fait taire aussitôt les rivalités de langue, de race et de province, précieux aiguillons en temps ordinaire, et si les efforts ne réussissent pas toujours, jamais on ne peut en accuser l’égoïsme et l’indifférence des compagnons de pêche.

On pressent quels hommes de fer se forment à une école qui exige tous les jours de seize à dix-huit heures, vingt quelquefois, du labeur le plus rude. Jamais une plainte n’échappe au matelot pour excès de fatigue. Associé aux profits et aux pertes, il travaille pour lui-même, et puis c’est un point d’honneur, c’est l’esprit de corps de ne jamais se dire fatigué. Il réserve ses doléances pour la nour-