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ils ne s’écartent guère. Bayonne et Bordeaux n’arment que pour le Grand-Banc, où leurs bâtimens rencontrent ceux de Saint-Malo, Saint-Servan, Granville, Fécamp, Dieppe, qui expédient aussi à la côte de Terre-Neuve, destination exclusive de la plupart des autres ports. Quant aux stations particulières dans chaque région, la même liberté préside au choix ; mais les capitaines soigneux qui ont une fois rencontré un bon fond le relèvent, en gardent le secret, et y reviennent l’année suivante avec de grandes espérances, souvent déçues. Là, comme en tout, l’innovation lutte parfois avec avantage contre la routine. Ainsi en 1858 la pêche au Grand-Banc a été très heureuse en des points qui n’avaient jamais été exploités. Il y a donc beaucoup de hasard dans le succès, et l’on a recherché en vain quelque loi naturelle pour l’abondance ou la rareté de la morue et ses directions habituelles. Cependant il est passé en proverbe que l’habile pêcheur fait la bonne pêche.

Suivant que l’on va au Grand-Banc ou à Terre-Neuve, le système général diffère ainsi que les pratiques spéciales. Pour le Grand-Banc, les navires, montés par une trentaine d’hommes, le dépassent d’abord, et arrivent à Saint-Pierre dès la fin de mars afin de s’y procurer l’appât (le bait des Anglais, boite des Français) nécessaire à leurs opérations. Suivant le poisson employé à cet usage, la campagne se divise en trois pêches. La première, qui se sert du hareng frais ou salé, se fait en avril et mai. Quand passe le capelan, de juin à juillet, commence la seconde pêche. Avec l’encornet, qui paraît vers la fin de l’été, se fait la troisième. Le produit des deux premières, après une préalable préparation en mer, est transporté à Saint-Pierre, où la dessiccation s’achève sur les grèves bien aérées de l’île : c’est la morue sèche. Le produit de la troisième, entassée sur le navire, forme la morue verte, qui est rapportée en France avec le retour d’automne, partie pour une consommation immédiate, partie pour être séchée et réexportée. La pêche au Grand-Banc est quelquefois appelée petite pêche, par opposition à celle de Terre-Neuve, parce que les armemens, étant plus coûteux, sont moins nombreux ; mais elle est en réalité la plus dangereuse. Les brumes y sont si épaisses, même en plein été, que souvent l’on n’y voit pas d’une extrémité à l’autre des navires, fort exposés à s’égarer ou à s’aborder. Pour prévenir les abordages, il est nécessaire que la cloche ou une corne, en guise de trompette, résonne presque sans relâche ; les vagues sont toujours houleuses, et les sinistres fréquens. En 1846, sept bâtimens y furent submergés par un même coup de vent : corps et biens, tout périt.

Sur la côte nord-est et nord de Terre-Neuve, rendez-vous du plus grand nombre des navires, la saison favorable ne commence qu’à la fin de mai, quand les vents du sud, en ouvrant et fondant