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bonne heure dans une vingtaine de ports de l’Océan, sous le seul mobile de l’intérêt individuel, nourri de cette sève municipale et provinciale qui fut un des ressorts, encore aujourd’hui les plus regrettables, de l’ancienne France. Elle eut l’heureuse chance, peut-être parce qu’on l’estima moins que les mines de métaux précieux, de n’être jamais comprise dans les privilèges des compagnies commerciales, et cette liberté fit sa force et sa popularité. Les ports de pêche ne sont pas les plus importans par le mouvement commercial ; ainsi Bordeaux, Nantes, Le Havre y prennent une petite part. On dirait l’une de ces laborieuses professions, plus utiles que brillantes, auxquelles se consacre la bourgeoisie, c’est-à-dire les moyens et petits ports, et que dédaignent les grandes et aristocratiques cités maritimes. Peut-être aussi la forme des rivages, plus ou moins favorables à la pêche côtière, apprentissage de la grande, a-t-elle dirigé d’abord les populations vers des travaux dont l’habitude a fait un goût et une vocation. Les villes de la Méditerranée, plus éloignées du théâtre des pêches, ont laissé le champ libre à celles de l’Océan : les ports de Cette et de Marseille y envoient néanmoins quelques navires de transport, qui, en échange de vins, rapportent des cargaisons de morue dont la préparation s’achève sur des séchoirs que trahit au loin une odeur caractéristique.

Parmi les riverains de l’Océan adonnés à la pêche de Terre-Neuve, le premier rang, dans l’ordre historique, appartient aux Basques. Dès le moyen âge, ils furent en effet les premiers, et longtemps les seuls, à harponner les baleines qui fréquentaient alors le golfe de Gascogne. Ils lançaient sur la mer de vraies flottes baleinières, comptant jusqu’à quarante bâtimens. Aussi acquirent-ils dans cette audacieuse carrière le renom des plus hardis marins de l’univers, poursuivant leur proie jusqu’en Islande et au Groënland. Quand la Hollande voulut s’engager dans la même voie, elle fit appel, à prix d’or, aux patrons basques, et récompensa en outre leurs services par des honneurs, même par des statues. Aux mêmes maîtres l’Angleterre demanda des leçons. C’est à la suite des baleines blessées que les Basques furent, d’après leurs traditions, conduits sur le Grand-Banc dès le milieu du xve siècle, et y trouvèrent les morues, qu’ils ne cherchaient pas. Des historiens leur accordent même l’honneur, qu’ils revendiquent vivement, d’avoir les premiers abordé à Terre-Neuve, au Labrador, au golfe du Saint-Laurent, en Acadie, et d’avoir donné à l’ensemble de ces pays inconnus le nom que Cabot recueillit plus tard de la bouche des indigènes[1]. Quoi qu’il en soit de

  1. Bacalao, qui veut dire en langue basque morue. Par une transposition de syllabes, familière dans la formation des langues, ce nom est probablement devenu cabillaud, qui désigne la morue fraîche.