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des plus généreuses. Les malheurs des vaincus ont inspiré à Longfellow son poème d’Évangéline. À partir de 1764, Saint-Pierre et Miquelon devinrent l’asile de ces victimes errantes de la politique : les familles qui ne voulurent pas s’incliner devant la fortune britannique s’y rendirent de l’Acadie, de l’Île-Royale, de l’Île-Saint-Jean (Prince-Édouard) sans y trouver une longue sécurité, car les nouvelles possessions françaises tombèrent au pouvoir des Anglais à chaque renouvellement de guerre. Deux fois transportés en France, en 1774 et 1794, et deux fois réintégrés à Saint-Pierre et Miquelon, en 1784 et 1815, les Acadiens primitifs et leurs descendans s’y sont définitivement fixés, non sans trahir quelques inquiétudes sur la durée de leur séjour par une prédilection particulière pour les maisons de bois et les installations provisoires. La restauration remit chaque famille en possession des grèves qu’elle avait jadis occupées, et distribua de nouveaux lots ; des subventions adoucirent la misère et soutinrent le courage, et l’on a vu une partie de cette énergique population acquérir enfin l’aisance par le travail. C’est à la pêche de la morue qu’elle doit ce bien-être.

Les Acadiens de Miquelon, comme les pêcheurs de Saint-Pierre, la pratiquent sur des barques montées de deux hommes dans les eaux très poissonneuses des deux îles et jusqu’à mi-canal de Terre-Neuve, sur des bateaux pontés et des chaloupes, avec quatre ou six hommes d’équipage, dans les bancs voisins que leur abandonnent les grands navires, dont l’équipage tout entier n’y trouverait pas de l’emploi. Enfin, avec des goëlettes servies par un plus nombreux personnel, ils s’avancent à l’est jusqu’au Grand-Banc, et au nord-ouest dans le golfe de Saint-Laurent ainsi que dans les baies de la côte occidentale de Terre-Neuve. Dans leur navigation du golfe, ils cultivent des relations d’amitié et de lointaine parenté, que des mariages renouvellent parfois, avec quelques familles de même souche qui sont restées dans les îles de la Magdeleine et sur la côte méridionale de Terre-Neuve. Quelques Acadiens sont même descendus dans la baie de Saint-George, à l’ouest de l’île, où ils se sont alliés aux belles familles irlandaises établies sur ce point pour y exercer en toute sécurité leur industrie de pêcheurs. Malgré ces alliances, peu nombreuses du reste, bien que la communauté de malheurs et de religion y invite, malgré de fréquens échanges de marchandises, les deux races restent profondément distinctes. Dans tout l’extérieur de la race acadienne se révèle la supériorité du créole sur l’émigrant. Les traits fins de l’Acadien, son franc et calme sourire, son regard bienveillant, quoique assuré, sa taille haute et ferme, tout en lui atteste cette noble confiance que développe l’habitude des luttes victorieuses contre la nature au sein d’une société dont on est un