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une désastreuse inspiration de patriotisme municipal outré. Pour une indépendance locale chimérique, ils se risquaient dans une grande et compromettante aventure ; par leur refus, ils créaient de l’irritation, de l’embarras à Naples, et par leur passion d’isolement ils jetaient un élément de perturbation de plus dans cette malheureuse Italie, déjà si divisée. Les Siciliens se trompaient donc dans leur intérêt même comme dans l’intérêt de l’Italie, et le gouvernement de Naples s’était bien plus dangereusement trompé en laissant par ses indécisions s’aggraver la rupture, en faisant attendre des concessions qui eussent été plus que suffisantes un mois auparavant pour maintenir l’union. Le nouveau ministre de la Sicile à Naples, le commandeur Scovazzo, qui était un Sicilien, et qui avait eu la plus grande part à cette tentative de transaction du 6 mars, quitta le pouvoir, navré des malheurs qu’il prévoyait.

Mais c’est surtout à l’intérieur que l’imprévoyante inertie du ministère Bozzelli se manifesta et porta ses fruits. Le 29 janvier 1848, la constitution était promise ; le 10 février, elle fut publiée ; le 24, — étrange rapprochement ! — le 24 février, tandis qu’une révolution s’accomplissait à Paris, le roi Ferdinand jurait sur le saint Évangile cette constitution qui ouvrait pour le royaume napolitain une ère nouvelle. C’était le moment d’agir avec une énergique résolution, de faire sentir au pays la main d’un pouvoir ferme et bienfaisant, d’organiser le régime nouveau, de le préserver, s’il le fallait, de ses propres excès, en désarmant les inimitiés secrètes qui ne pouvaient manquer de triompher de ses défaillances. M. Bozzelli crut sans doute qu’il suffisait de rédiger une constitution modelée sur cette charte française qui en ce moment même était emportée par un orage, et cela fait il s’arrêta, laissant le pays sans direction, entre le régime absolu légalement abrogé et le régime nouveau qui était tout entier à créer. Des lois les plus essentielles qu’il y avait à faire, les unes étaient faites à la légère comme la loi électorale et la loi sur la garde nationale, les autres étaient complètement oubliées. À mesure que la nécessité parlait, on rendait des décrets sur les attroupemens, sur les abus de la presse. Le ministère n’avait pas plus de politique intérieure qu’il n’avait de politique extérieure ; il allait au hasard. Qu’en résulta-t-il ? C’est que le désordre ne tarda pas à se montrer et à envahir le pays sous toutes les formes. L’impuissance de la politique ministérielle, aggravée par la contagion de la révolution française, permit à un parti plus avancé de se faire jour, d’agiter, de passionner les esprits.

Rien n’est assurément plus périlleux pour un pays que ce passage subit d’une compression universelle à une liberté encore mal définie. Une presse effrénée se produisit bientôt à Naples. Le droit d’écrire,