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vingt ans dans l’exil en France, en Angleterre et en Belgique, chef de tous les comités libéraux napolitains depuis sa rentrée, emprisonné plusieurs fois par le pouvoir absolu, publiciste renommé, il semblait réunir tous les titres à ce premier rôle que les événement lui décernaient d’une façon si soudaine ; sa popularité était immense. On n’espérait qu’en Bozzelli, on ne jurait que par Bozzelli. Malheureusement ce dictateur d’un jour ne justifiait guère la confiance sans bornes qu’on mettait en lui. C’était un esprit léger, superficiel et impuissant, un libéral de 1820 en politique, un sensualiste du dernier siècle en philosophie, et en littérature un élégant architecte de paroles sonores. « Figurez-vous, dit un des plus ingénieux et des plus sincères historiens des révolutions napolitaines, M. Massari, figurez-vous un homme avec l’intelligence pleine des principes philosophiques de Destutt-Tracy et du père Soave, avec l’esprit arcadique de l’abbé Chiari, riche d’études, mais pauvre d’idées politiques, habile dans la dispute, obstiné et orgueilleux… » La mauvaise fortune de Naples faisait tomber ses destinées en de telles mains. Le ministère dont M. Bozzelli était l’âme avait tout à faire, et il ne fit rien. Il avait surtout à pourvoir à trois grandes nécessités du moment : créer la politique nouvelle de Naples dans ses rapports avec l’Italie, régler les affaires de Sicile et se hâter de mettre en pratique le régime constitutionnel pour gagner de vitesse l’esprit de désordre, toujours prompt à se glisser dans ces crises de régénération.

Une des plus singulières erreurs de cette fraction du libéralisme qui montait au pouvoir à Naples fut son indifférence pour tout ce qui se passait en Italie. Pour ces libéraux napolitains de la première heure, le monde finissait au Garigliano, à Fondi et à Terracine, et par une curieuse coïncidence ils se trouvaient merveilleusement d’accord sur ce point avec le roi, qui, lui du moins, était logique dans ses vues et dans ses idées en repoussant le drapeau tricolore italien. Avec un esprit plus élevé et plus large, M. Bozzelli eût saisi aussitôt l’intime connexion qui existait entre la question nationale et la question de liberté politique ; il eût vu que la possibilité du régime constitutionnel à Naples tenait à l’affranchissement du nord de l’Italie, par une raison bien simple. Les souverains napolitains étaient liés à la cour de Vienne par un traité de 1815 qui interdisait tout changement politique. Tant que l’Autriche régnait à Milan, il était douteux qu’un essai constitutionnel quelconque pût être durable dans le midi de l’Italie. L’erreur était possible peut-être avant la révolution de février, elle ne l’était plus lorsque la guerre éclatait en Lombardie et qu’il n’y avait plus que deux camps, celui de l’indépendance italienne et celui de l’Autriche. La politique de