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II

Ainsi se dessinait une situation que les événemens de France semblaient rendre plus facile en apparence, qu’ils rendaient désastreuse en réalité. Naples tout particulièrement sortait de cette crise des deux premiers mois de 1848 avec une constitution nominale, une administration décomposée, une population éblouie, un roi marchant à contre-cœur sous le coup d’une nécessité qu’il subissait sans conviction, et un ministère qui avait plus de bonne volonté que de force. Le malheur du royaume napolitain, en ce moment où tout était à faire et à organiser, fut de n’être point gouverné et d’aller à la grâce de Dieu ou à la diable pour mieux dire, comme l’Italie tout entière d’ailleurs. Le premier ministère constitutionnel formé à Naples eut deux phases répondant au mouvement graduel des choses, fiévreuses et tourmentées comme cette expérience où se précipitait tête baissée la péninsule : l’une de ces phases allant du 29 janvier au 6 mars, l’autre se déroulant du 6 mars au 3 avril.

Dans la première période, le cabinet napolitain avait pour chef, je l’ai dit, le duc de Serra-Capriola, un diplomate de la vieille école, et il comptait en outre le prince Dentice, le prince Torella, le baron Bonanni, le commandeur Scovazzo, hommes honnêtes, éclairés, environnés surtout d’une grande considération, mais qui étaient jetés à l’improviste à la tête du pouvoir dans des circonstances extraordinaires pour lesquelles ils étaient peu faits. Le 6 mars, un élément nouveau se faisait jour dans le ministère. À côté du prince Cariati, ancien officier de Murat, diplomate de 1820 et gentilhomme de manières supérieures, qui était appelé aux affaires étrangères, le nouveau ministre de la justice, Charles Poerio, qui depuis le 29 janvier avait dirigé la police du royaume, était un type de libéralisme et de patriotisme éclairé. L’économiste Giacomo Savarese devenait ministre des travaux publics. Un personnage assez mystérieux, qui depuis a joué un certain rôle dans les révolutions italiennes, entrait dès lors presque furtivement au pouvoir : c’était M. Aurelio Salicetti, connu comme professeur de législation, remarqué depuis peu comme intendant de la province de Salerne, homme d’ailleurs résolu et opiniâtre ; mais dans cette double combinaison, singulièrement incohérente et toujours placée sous la présidence du duc de Serra-Capriola, le chef réel, l’âme, le conseil du gouvernement napolitain, fut le ministre de l’intérieur, M. Bozzelli, appelé dès les premiers jours au pouvoir. Francesco Paolo Bozzelli était la personnification de ce régime constitutionnel qui naissait au milieu des orages. Mêlé depuis longtemps à la politique, ayant vécu près de