Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cour ; on le reconnaissait dans les vers où Horace peint un de ses amis, ridicule pour les gens du bel air, mal drapé dans sa toge, mal chaussé, mais un cœur d’or, une âme candide : tous défauts et qualités qui ne s’allient guère avec la vie d’un courtisan. Tous deux restent le plus souvent à la campagne, amans de la solitude, et point du tout amans platoniques à la façon des poètes de salon du XVIIIe siècle ; ils passent leur vie au sein de la nature libre et souriante, loin de la servitude universelle, dont ils préservent au moins leur personne, sinon leur pensée. C’est de cette retraite qu’ils font passer à Auguste cette redevance d’éloges dont ils achètent l’indépendance de leurs goûts et de leur vie. On peut voir là un égoïsme blâmable et condamner cette indifférence pour l’assujettissement général dont ils se consolent en y échappant personnellement ; mais il faut bien préciser la nature de leurs torts, et surtout ne point les exagérer. Dans leur conduite, je ne vois rien de cette idolâtrie convaincue et naïve que Mme de Sévigné nous peint si vivement chez le janséniste Arnauld, quand, ravi d’avoir été bien reçu par le roi, il s’écriait tout larmoyant : « Il faut s’humilier, il faut s’humilier ! » Cet honneur dont Arnauld se montrait si touché, Virgile et Horace s’y dérobaient de leur mieux, et ce n’était pas par humilité.

Tout en avouant la vie retirée des deux poètes, M. Sainte-Beuve n’épargne rien pour exagérer leur rôle officiel et l’influence d’Auguste sur leur génie. Il semble pourtant que chez Horace ce n’est point sur les pièces politiques, sur ses odes de circonstance, qu’est fondée sa réputation. Elles sont froides, sans inspiration vraie ; le poète y a recours aux recettes ordinaires, le beau désordre et le bagage mythologique. J’ai ici pour moi l’autorité de M. Sainte-Beuve lui-même, qui, citant plusieurs odes qu’il faut toujours se relire à soi-même, n’en cite aucune qui soit politique. Quels sont en effet chez Horace les vrais titres de sa renommée ? Des odes ravissantes de grâce épicurienne, des épîtres et des satires animées d’une vivacité spirituelle, recommandées par cette morale facile qui se confond un peu trop avec la prudence, par cet égoïsme doux et charmant que nous retrouvons chez La Fontaine, mais que relèvent souvent chez Horace des accens plus fiers et plus fermes, échos lointains et sonores des convictions de sa jeunesse. Je ne vois guère dans tout cela l’influence personnelle d’Auguste. Ce prince d’ailleurs n’était pas de ces personnages prestigieux qui, par l’éclat de leurs qualités ou de leurs vices, s’emparent fortement des imaginations poétiques. Il n’avait point de cour ; en fait d’autorité, il visait au solide et affichait la simplicité. Sa maison était très modeste d’apparence, et c’était sa femme qui lui faisait ses habits. Ses amours, soigneusement dissimulées, n’avaient rien de ces poétiques passions de Louis XIV dont on a pu retrouver quelques traits dans