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devoirs que l’usage lui imposait. Une des épîtres qu’il adresse à Mécène nous prouve que sur ce point il ne se gênait guère, et que, si les éloges adressés à son patron ne lui coûtaient point, il ne lui sacrifiait en rien son indépendance. On sait le sujet de cette épître : Horace est à sa campagne, à quelques lieues de Rome ; Mécène se plaint de son absence, qui dure depuis un mois. Horace, au lieu de revenir, répond tranquillement qu’il compte rester encore six mois environ à la campagne (pendant l’hiver), et, de ce non content, il ajoute que, si Mécène a cru l’assujettir à résidence et lui faire payer ainsi ses bienfaits, il est tout prêt à lui rendre ce qu’il a reçu. Quoique la vivacité de la réponse soit adoucie par des formes affectueuses, ce n’est pas moins mettre à Mécène le marché à la main. Qu’on se figure un moment Colbert manifestant à Boileau le désir de le voir ; Boileau aurait quitté bien vite Auteuil pour courir à Versailles, et pourtant il n’avait rien reçu de Colbert. En tout cas, il ne lui eût pas répondu : « Vous vous plaignez de ne pas me voir depuis un mois ; eh bien ! je resterai encore six mois absent. Et notez que je ne suis pas malade. » Horace en effet, dans son épître, prend la précaution assez désobligeante de bien constater ce point. Il craint seulement les fièvres ordinaires à Rome au mois d’août. Quant aux six mois de séjour qu’il compte faire encore à la campagne, il n’en donne d’autre raison que son bon plaisir : il veut se dorloter, lire tranquille et blotti dans son coin. Tout cela est assez dégagé, et ne ressemble guère aux façons du grand Corneille se vantant d’appartenir à M. le cardinal.

Quant aux rapports d’Horace avec Auguste, ils sont d’une tout autre nature, et c’est avec raison que M. Ampère a noté l’espèce de répulsion que la personne d’Auguste inspirait au poète. Auguste même a pris soin de la constater dans des fragmens de lettres que nous a conservés Suétone. Le prince en est aux coquetteries les plus agaçantes avec le poète, lui donnant de petits termes d’amitié, parmi lesquels il s’en trouve d’un caractère bien étrange pour un réformateur des mœurs. Rien n’y fait. Auguste veut s’attacher Horace en qualité de secrétaire ; le poète refuse, et le prince se contente de lui répondre : « Tu as beau faire, je ne te rendrai pas dédain pour dédain. » Plus tard, quand Horace publie ses épîtres, adressées à Mécène ou à d’autres amis, dont quelques-uns sont fort obscurs, Auguste se plaint qu’il n’y ait rien pour lui dans ce recueil, et il écrit au poète ces paroles d’une amertume significative : « Crains-tu donc de te déshonorer auprès de la postérité en te montrant mon ami[1] ? » Horace s’exécute alors, et lui adresse une épître toute

  1. « An vereris ne apud posteros tibi infâme sit, quod videaris familiaris nobis esse ? » (Suétone.)