impersonnelle et désintéressée du public, n’était pas le seul avantage que le théâtre offrît aux poètes. À Rome, le théâtre était l’unique moyen littéraire de gagner sa vie sans recourir aux protecteurs et aux Mécènes. Nulle part l’on ne trouve que les libraires aient acheté leurs ouvrages aux écrivains ; les droits d’auteurs n’existaient qu’au théâtre, et ils dépendaient du caprice des comédiens ou des personnes qui se chargeaient, de donner des jeux. Ces prix n’étaient pas de nature à faire la fortune d’un poète, mais ils étaient peut-être supérieurs en moyenne, et toute proportion gardée, à ce que reçurent Corneille et Racine pour leurs chefs-d’œuvre. Nous avons le prix reçu par Térence pour une de ses pièces, l’Eunuque. Selon Suétone, elle eut tant de succès qu’elle fut jouée deux fois le même jour, et payée à Térence une somme assez forte pour le temps, 8,000 sesterces (1,638 francs) : selon Donat, elle fut reprise et payée de nouveau à l’auteur. Certes ce chiffre est bien au-dessous de celui où sont montés les droits d’auteurs, soit avec les théâtres, soit avec les libraires, depuis que les écrivains ont bien voulu renoncer en Angleterre et en France à la protection des grands seigneurs et des financiers, et ne plus rechercher que celle du public : sacrifice qui a servi, non-seulement leur dignité, mais aussi leurs intérêts. Au temps même de Louis XIV, après les chefs-d’œuvre de Corneille et presque tous ceux de Racine, en 1674, les comédiens ne payaient un prix équivalent à celui que reçut Térence pour l’Eunuque « qu’aux auteurs de haute réputation, et dont tous les ouvrages avaient réussi[1]. » Or l’Eunuque était la seconde pièce de Térence, et nous savons le prix que reçut Racine pour sa troisième tragédie, un de ses chefs-d’œuvre, Andromaque, — deux cents livres ! Je ne cite pas l’exemple de Plaute, qui paraît avoir fait au théâtre une véritable fortune, qu’il perdit plus tard dans des opérations commerciales : la position de Plaute est à part et ne saurait servir de terme de comparaison, — il était à la fois chef de troupe, acteur et auteur, comme Molière, qui fit aussi en son temps une fortune exceptionnelle ; mais Horace nous parle d’un poète aujourd’hui perdu, Dossénus, qui visait aux succès d’argent et qui y arrivait. Il est donc avéré qu’à Rome le théâtre pouvait faire vivre ceux qui s’y consacraient. Plus tard, sous l’empire, cette ressource manqua aux gens de lettres ; le théâtre fut remplacé par les jeux du cirque, et il n’y eut plus pour le poète pauvre qu’un moyen d’existence, les générosités des Mécènes[2]. Plaute n’y avait pas songé : devenu pauvre, il avait travaillé de ses mains. Dans les fragmens
- ↑ Chappuzeau, Théâtre Français, 1074, l. II, ch, 13, cité avec beaucoup de curieux détails sur cette matière dans un spirituel petit livre de M. Victor Fournel, Curiosités théâtrales.
- ↑ Juvénal parle bien d’une tragédie d’Agavé, composée par Stace, pour être vendue à un directeur de troupe ; mais, dans l’abandon bien constaté du théâtre, ce ne pouvait plus être qu’un fait exceptionnel.