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une vocation qu’elle décidait. Sans cela, elle n’eût pas réussi, car, s’il est vrai qu’un discours est fait à deux, par l’orateur et par l’auditoire qui l’écoute, cette collaboration du public est encore bien plus nécessaire aux œuvres dramatiques. Un poète lyrique peut chanter ses propres émotions sans trop se demander si elles trouveront de l’écho. Milton peut écrire un chef-d’œuvre que son temps méconnaîtra, et qu’il lègue à la postérité ; l’isolement lui est possible. Un poète dramatique, s’il est méconnu, cessera d’écrire pour le théâtre. Racine lui-même y renonça pour avoir été une fois contesté. Il s’ensuit qu’une comédie qui réussit peut donner la mesure du public qui sait la goûter. À cet égard, la comédie latine est une recommandation sérieuse pour les contemporains des Scipions, et l’impossibilité où elle fut de se soutenir plus tard devint la condamnation sans appel du public romain sous les césars. Il ne faut avoir une bien vive admiration pour les Romains d’aucune époque et à aucun point de vue ; mais il est certain que, pour reprendre quelque bonne opinion du peuple romain sous la république, il suffit de le comparer à ce qu’il devint sous l’empire. On conçoit qu’alors il y avait pour ce peuple grossier une école qui plus tard lui fut fermée : c’était le Forum. La tribune où retentissaient les accens généreux des Gracques et la mordante parole du vieux Caton était pour la foule un enseignement littéraire comme un enseignement politique.

On convient, je crois, assez généralement que le public sous les césars était un fort triste public, très propre à corrompre ceux qui voulaient lui plaire ; mais on paraît croire que, sous Auguste, il y eut un moment exceptionnel où deux ou trois poètes éminens trouvaient toujours un auditoire zélé pour les applaudir et capable de les apprécier. Peut-être y aurait-il quelque chose à réformer à ce jugement. Le fait est qu’Horace, tout sévère qu’il est pour l’époque antérieure, et sévère jusqu’à l’injustice, traite fort mal le public de son temps, et se vante d’écrire non pour lui, mais pour quelques lecteurs de choix ; il pouvait bien avoir raison. Au moins est-il certain que la comédie et la tragédie même, fort cultivées au temps des Scipions, devinrent absolument impossibles sous l’empire, et ne purent soutenir la concurrence avec les jeux du cirque, surtout avec les combats de gladiateurs, auxquels Jules-César le premier avait donné de si grands développemens. Les deux ou trois milliers de spectateurs que l’on trouvait à Rome pour applaudir Plaute et Térence sous les Scipions, au temps où la ville était encore peu de chose, on ne les trouvait plus dans l’immense Rome des césars. Le goût public avait baissé.

Du théâtre romain à l’époque républicaine, il ne nous reste que deux poètes : Plaute et Térence ; mais ce sont de tous les poètes latins