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reconnue par le coupable autant qu’affirmée par le vengeur. Souvent en effet, dans les plus anciennes traditions, le coupable prend pour juge la partie offensée elle-même, et accepte sa décision, si sévère qu’elle soit. Cela s’appelle, chez les Scandinaves, la siaelf-daemi, le jugement de soi-même. « C’était là, dit M. du Boys, selon les idées du temps, la plus grande marque d’honneur qu’on pût donner à un ennemi, et celui-ci répondait souvent à cet acte d’abandon et de confiance par la magnanimité et le pardon. » Ainsi la vengeance, quoique encore individuelle, n’était pas, dans son principe, ce que nous entendons aujourd’hui en morale par ce mot ; elle n’était pas l’effet de la passion pure ni de la fureur arbitraire, elle portait avec soi dès l’origine la règle, l’idée du droit, à un degré quelconque. Commandée par la famille, soumise au contrôle de l’opinion par le devoir de la publicité, sanctionnée par la religion, elle était la première manifestation du droit pénal, et en quelque sorte un premier élément, un premier germe de juridiction.

Il était pourtant défendu de dépasser une certaine mesure dans l’exercice de la vengeance ; ainsi, dans la nouvelle législation de Gulathing, il est établi que sans doute un offensé a le droit de se venger lui-même, mais que, si la vengeance dépasse l’offense, il doit donner des dédommagemens pour cet excédant, suivant l’appréciation des prud’hommes. On voit ici, dans une loi comparativement récente, l’ancien principe vivant encore quand le nouveau commence à le limiter, et le passage de l’un à l’autre, du droit individuel au droit social. L’usage du wehrgeld ou de la composition pécuniaire, si fameux dans les lois germaniques, fut encore un progrès dans cette voie. Dans le principe, il ne fut probablement que l’expression d’une transaction obtenue par des médiateurs officieux, un contrat plutôt qu’un arrêt, une sorte d’indemnité, et à ce titre, les âmes les plus hautes le repoussaient quelquefois. Thorstein le Blanc avait un fils unique, qui fut tué par vengeance, le meurtrier fit offrir une composition en argent ; mais le père répondit : « Je ne veux pas porter mon fils mort dans ma bourse. » Quelque temps après, le meurtrier vint se mettre à la discrétion du noble vieillard, qui lui fit grâce de la vie. Néanmoins, comme l’indemnité attribuée au lésé était en même temps une expiation pour le coupable, comme en l’humiliant elle le réhabilitait, la composition apparut sous un aspect plus noble ; à la fin, elle prévalut, et devint la base de tout un système de pénalité. De là de nouvelles coutumes encore pour régulariser le nouveau système : fixation du taux, proportion de la peine au délit, considération des personnes et des circonstances. La pénalité devenait plus flexible, plus appropriée et plus juste ; par cela seul elle sortait en pratique du domaine de l’individualité pour entrer dans les attributions d’un pouvoir public plus ou moins complet. Le wehrgeld devient ensuite obligatoire, et il tend à disparaître à mesure que la justice instituée arrive à établir une pénalité plus protectrice des faibles et plus efficace pour tous. Il disparaît en même temps que la solidarité des familles ; l’un et l’autre étaient des expédiens propres à des mœurs encore violentes, et qui ne supportaient l’ordre que dans une certaine mesure ; l’autorité, mieux constituée et plus générale, rétablit en même temps la responsabilité personnelle et une pénalité aussi sérieuse pour le riche que pour le pauvre.

Par ces divers progrès, nous voici arrivés à la paix publique (paix ou trêve